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La coopérative de Creully met la relève sur orbite

Exit la mauvaise moisson 2016. La coopérative de Creully ne sombre pas dans la sinistrose. Elle se projette au contraire dans l’avenir avec «Atouts jeunes» et s’ouvre à la bio pour un meilleur service de proximité.

lll Ils se prénomment Gontran,Jonathan, Jérôme, Julien, Stéphane, Gaël, Lydie, Dimitri, José, Hugues, Jean-François, Nathalie, Benoit et Sébastien. Ils sont tous jeunes agriculteurs/coopérateurs et constituent la «task force» de la première promotion «Atouts jeunes». Le 27 novembre dernier, à l’occasion de l’assemblée générale de la coopérative de Creully, ils ont apporté leur retour d’expérience d’une formation existant en France depuis 2006. Selon son promoteur, elle a déjà formé 1300 jeunes dans 54 coopératives hexagonales. Depuis, 20 % de ses stagiaires y ont pris des responsabilités. 

14 jeunes en formation qui en appellent d’autres
De Pascal Desvages (président de la coopérative de Creully) qui «attend les 14 nouveaux» à Yves Julien (son prédecesseur) qui en «sage» a accompagné le groupe en Hongrie lors d’un voyage découverte, «cette formation est avant tout une aventure humaine». Lancée il y a 8 mois, elle vise de multiples objectifs. Apporter des connaissances afin de mieux aborder l’avenir, prendre de bonnes décisions éclairées par une connaissance des enjeux et contexte des 5 prochaines années, fédérer un groupe avec des valeurs partagées, valider un projet d’exploitation à 5 ans, susciter la prise de responsabilité dans les OPA (Organisation Professionnelle Agricole) et en particulier bien sûr la coopération...
Tous les objectifs ne sont sans doute pas encore atteints mais force est de considérer que l’esprit de convivialité qui règne est gage de durabilité individuelle et collective, avec une bonne dose d’optimisme en l’avenir en dénominateur commun. «Echanger, partager et s’ouvrir au monde extérieur. Ne pas être seul. Prendre du recul sur son métier et son évolution. Intégrer un réseau de collègues ayant les mêmes attentes. Capter les évolutions et ruptures à venir. S’enrichir de nouvelles connaissances et rencontres. Voyager pour s’informer sur d’autres modèles agricoles performants. Comprendre les outils de la filière agricole, intégrer les valeurs modernes du monde coopératif, réfléchir et fiabiliser un projet professionnel et personnel (...)», ont listé au chapitre des bénéfices tour à tour chacun des participants.

Une moisson 2016 à oublier
Un bain de jouvence qui est tombé à pic après l’analyse d’une moisson 2016 à très vite oublier. «Nous nous souviendrons de la campagne 2016/2017 comme celle du triste record de la plus faible production de céréales et oléoprotéagineux depuis 30 ans. Cette récolte a entrainé de gros problèmes de trésorerie dans les exploitations, insiste-t-on du côté des dirigeants. Notre coopérative n’a pas échappé à cette mauvaise moisson tant au niveau quantitatif que qualitatif. Avec une collecte totale de 224 525 tonnes, nous subissons une baisse de volumes de 21 % par rapport à 2015/2016. Cette forte diminution des tonnages collectés se justifie par la chute brutale des rendements». 
Dans le détail, la collecte de blé (159451 T) est en recul de 23 % avec une qualité moyenne (taux de protéine de 12 % et PS à 75,3). Baisse aussi en orge mais limitée grâce à une augmentation des surfaces pour aboutir à une collecte  de 24 520 T (- 2 %). A contrario, la collecte d’avoine progresse de 7 % pour s’établir à 2 140 T valorisées à 73 % vers le débouché de l’alimentation équine.
Fort recul également en maïs (- 64 % du fait notamment de surfaces grain finalement ensilées), en colza (- 16 %) mais augmentation en pois (+ 18 % pour s’établir à 2 420 T).
Reste la féverole sur laquelle Creully avait fondé beaucoup d’espoirs. «Avec 10 934 T collectées, la baisse par rapport à 2015 atteint 19 %. La légère baisse des surfaces et les conditions climatiques, impactant le rendement, expliquent ce phénomène». Une féverole commercialisée à 100 % auprès des fabricants d’aliments du bétail. «Pour la première fois, la coopérative n’a rien commercialisé sur le débouché de l’alimentation humaine pour plusieurs raisons. Les prix du marché égyptien restaient sous pression du report de la campagne précédente. La chute de la parité £/$, conséquence directe du Brexit, a favorisé les féveroles d’origines anglaises. L’importante production australienne a continué d’accentuer la pression sur les prix CAF Egypte. Par ailleurs, les prix de la féverole fourragère à destination des fabricants d’aliments du bétail du grand Ouest sont restés attractifs toute la campagne. A cause de la remontée de la parité €/$, ces prix de féveroles fourragères étaient supérieurs à ceux des féveroles humaines», commente Stéphane Carel. Et de poursuivre : «lors de la moisson, nous n’avions pu alloter en féverole humaine que 12 % de la collecte à cause de la présence de grains brûchés. Avec un bon triage sur le site d’Anisy, nous aurions pu proposer un lot de 2000 T de féverole humaine au marché égyptien». Les parités monétaires en ont décidé autrement. 

Besoin d’un coup de main politique
Cette mésaventure de la féverole pose question. «Y a-t-il encore un avenir pour cette culture sur notre territoire? Sinon, par quelle tête d’assolement peut-on la remplacer : lentille, légume sec, soja ?», s’est interrogé un adhérent. Soja, non. Aucune variété n’est adaptée au terroir. Pour les autres, elles paraissent bien aléatoires. In fine, la féverole est presque un cas d’école et ouvre le champ de nombreuses interrogations. Interrogation politique tout d’abord. Si l’accès de la féverole au marché de l’alimentation humaine s’éloigne de plus en plus à cause de la bruche, c’est bien parce que le politique français a fait preuve de dogmatisme environnemental sur le dossier à contrario de son homologue européen ou de pays tiers. «On a besoin d’un pouvoir politique qui se bat à nos côtés et pas contre nous», a martelé Pascal Desvages. Avec la cacophonie autour du prolongement de l’autorisation du glyphosate actée par l’Europe pour 5 ans mais nationalisée pour 3 ans par le président Macron, on comprend que la partie est loin d’être gagnée. 
Autre enseignement fort à tirer de cette mésaventure de la fèverole, c’est le poids de la mondialisation dans le quotidien des agriculteurs, éleveurs ou céréaliers, français. Un changement de parité $/€/£ peut en quelques jours faire basculer un marché de même qu’un accident climatique à l’autre bout de la planète.
Faut-il pour autant se replier sur le marché intérieur ? «Oui» sans doute quand il s’agit du marché bio que les productions locales sont loin de saturer. C’est d’ailleurs tout l’objet de la démarche AB de la coopérative de Creully.
Mais «non» quand on évoque le blé. «Certains veulent nous faire croire qu’il faut se replier sur soit même alors que l’essentiel de nos surfaces est destiné au marché mondial», a rappelé Jean-Pierre Langlois-Berthelot, coopérateur creullyste mais aussi président de France Export Céréales.
Contexte différent mais la mondialisation est également incontournable du côté de la coopérative Isigny-Ste-Mère à travers ses savoir-faires en matière de lait infantile, crème et autre beurre commercialisés dans les linéaires asiatiques. «Une fierté», avoue son président Arnaud Fossey et, à n’en point douter, une fierté aussi pour les producteurs de lait locaux avec partage de la valeur ajoutée. «Isigny est une des coopératives qui paie le mieux le lait en France et nous allons accueillir une vingtaine de producteurs du Molay-Littry. A contrario, je ne suis saisi d’aucune demande de départ». 
Ainsi, face aux affolés de la mondialisation, la coopérative de Creully préfère regarder la bouteille à moitié pleine. C’est ce qu’a révélé les débats qui ont suivi l’assemblée générale statutaire. 

220 000 bouches de plus à nourrir chaque jour
Si les chantres de la décroissance ont trouvé un public, certains chiffres invitent à un peu plus de prudence.
La planète comptabilise chaque jour 220 000 bouches supplémentaires à nourrir. Selon certaines projections, d’ici 2050, il faudrait produire 70 % de produits agricoles supplémentaires. Parallèlement et à cause du réchauffement climatique, certaines régions vont entrer dans le jeu agricole pendant que d’autres vont en sortir. L’Espagne sera-t-elle toujours productrice de blé dans 10 ou 20 ans ? La question est ouverte. Mais ce qui est incontournable dans cet océan d’incertitudes, c’est que le Grand Ouest français, et plus particulièrement la Normandie avec son climat tempéré et ses terres profondes notamment du côté de Creully, dispose d’atouts que d’autres n’ont pas.
Notre région a donc vocation à produire et produire pour le marché mondial aussi. Deux conditions à cela : la qualité et l’économique. Pour Yann Lebeau (chef de mission Maghreb-Afrique de France Export Céréales), attention aux nouveaux acteurs : Russie, Ukraine (...). «Ça fait 6 ans qu’ils sont sur le marché international. Ils sont bons et ils sont dangereux. L’agriculture, c’est une priorité de l’Etat là-bas», histoire de nous ramener sur l’importance des choix politiques dans le développement économique.
Et Thomas Lepainteur (en charge de la commercialisation des céréales à la coopérative de Creully) de saisir la balle au bond. «Il ne faut pas compter sur nos voisins pour faire remonter la qualité d’un lot. Nous devons atteindre nous-mêmes les standards de qualité sinon on ne sera pas invité sur le marché, on ne chargera pas!». Un objectif qui passe par la case R&D (Recherche et Développement).
Il serait donc faux de penser que le fournil mondial attend la France. «Si on ne produit pas, le marché se fera sans nous». Dommage au regard de certains clients historiques comme l’Algérie «qui consomme autant, voire plus, que la meunerie française». 
Encore faut-il que ça passe économiquement. «Il faut chasser en meute. Creully ne va pas y aller tout seul», invite Yann Lebeau. Sur cet aspect aussi la Normandie, avec les ports de Caen et Rouen, n’est pas démunie. Les marchés du Maghreb sont à proximité et donc à soigner laissant ainsi le blé de la Mer noir travailler des horizons plus lointains. Cette conquête, voire reconquête après les marchés perdus suite à la mauvaise récolte 2016, est également un combat interne. «L’activité céréales représente les 2/3 du chiffre d’affaires de notre coopérative, a rappelé François Ozouf, administrateur et céréalier à Boulon. C’est tout le sens de notre plan silo : aller chercher de la performance prix sur de longues durées pour minimiser les marchés de dégagement».
En résumé, Creully ne compte rien lâcher et si la coopérative ne met pas tout son blé dans le même grenier, il ne faut pas s’y tromper. Le bio, ce ne sont que quelques grains pour répondre à un marché, l’accompagner dans son développement et apporter un service. Mais la part du lion pour cette plaine calvadosienne qui a connu la mondialisation en juin 1944, c’est bien le marché planétaire. Enfin, celui qui est à portée de goulotte et à condition que l’Etat ne jette pas de nouvelles scories environnementales dans les parcelles.

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