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Le maraîcher enlisé dans les gravats

À Ver-sur-Mer, les soldats britanniques tombés en juin 1944 seront honorés d’un mémorial. La profession agricole a validé la vente d’une vingtaine d’hectares à l’association Normandy Memorial trust pour le projet. Parmi les exploitants, un maraîcher AB se retrouve sans terre. Hasard du calendrier, une parcelle située à proximité est à vendre. La Safer la préempte et l’attribue à Dominique Delabie, qui commence à la cultiver. Mais très vite, il tombe sur un « os » : une partie de la parcelle est pleine de gravats, de bitume, etc. Depuis plus d’un an, c’est le statu quo.

© JP

C’est l’histoire d’un maraîcher. Dominique Delabie, 49 ans, habitant de Ver-sur-Mer. Le 1er juillet 2017, il s’installe officiellement en bio sur deux parcelles, une que lui loue son cousin, une autre que lui prête la commune. Elles portent les numéros ZA23 et ZA24 et totalisent 2 ha. « Pendant plus d’un an avant de m’installer, j’ai défriché, évacué les ronces et éliminé les lapins, rapporté de la terre, clôturé », se souvient Dominique Delabie, qui avait à l’époque gardé son mi-temps d’éducateur dans un centre pour personnes handicapées. À l’été 2017 donc, ses serres sont installées, il lance sa première production de légumes. À l’automne, il reçoit un courrier lui demandant de quitter les lieux pour le 28 février : le mémorial anglais de Ver-sur-Mer sera en partie construit sur ces terres. « J’ai tout installé pour quatre mois. On m’a dédommagé de 4 000 E. »

Rebelote
Dominique Delabie replie serre et outils et cherche un autre terrain où s’installer. Coup de chance, les propriétaires de la parcelle ZA57, située dans la même zone, vendent à non agriculteur. La Safer préempte, au printemps 2018, les 1,8 ha et les attribue Dominique Delabie. « J’ai demandé, pour ne pas perdre ma saisonnalité, de commencer à l’exploiter à l’été tout en m’engageant à acheter la parcelle. J’ai versé à la Safer une caution de 1 800 E. » À l’époque, la parcelle se décompose comme suit :  5 000 m2 de bois classé, 5 000 m2 de terre sans cailloux et 8 000 m2 de terre avec cailloux.
« Je redéfriche, réinstalle les serres, le matériel et plante. Je demande aux personnes qui fouillent pour le mémorial de creuser un trou avec leur pelleteuse pour avoir de l’eau. Et là, je suis tombé sur tout un tas de merdiers: des morceaux d’agglos, de ferrailles, de plastiques et de bitume. » Sous les 5 000 m2 de terre sans cailloux, dix mètres de gravats et autres dépôts. Rebelote : Dominique Delabie est de nouveau obligé d’arrêter sa production. Seulement, depuis cette période, rien n’avance.

Avec ou sans accord ?
La parcelle se révèle être, en partie, une ancienne carrière. « Il y aurait eu un accord verbal entre les propriétaires et la municipalité de l’époque pour qu’une entreprise de travaux publics comble la carrière avec des déchets inertes. Puis ils ont été recouverts avec 30 cm de terre en surface», explique Philippe Onillon, maire de Ver-sur-Mer. Première question : est-ce légal ? « Nous n’avons pas retrouvé trace d’une autorisation préalable délivrée pour ce dépôt, il est donc probable que la situation observée n’est pas réglementairement conforme », explique Nicolas Fourrier, directeur adjoint des territoires et de la mer du Calvados. Ensuite, pourquoi la Safer ne l’a-t-elle vu ? Philippe Onillon reprend : « le terrain a été vendu comme terre agricole. La Safer a préempté et ne m’a rien demandé ». De son côté, la Safer se défend d’être victime : «nous recevons 20 000 notifications par an, estime Stéphane Hamon, directeur régional de la Safer de Normandie. La mairie aurait dû nous prévenir, puisqu’elle reçoit les notifications pour affichage et qu’elle nous avait formellement sollicités pour trouver une solution de repli à M. Delabie. Mais perdre du temps à trouver le coupable est stérile. Nous devons aller de l’avant et réfléchir à quels moyens mettre en place ».

« Pollueur – payeur »
Deux autres questions suivent pourtant : quel est le niveau de pollution ? À qui revient la facture pour dépollution ? « En tant que maire, j’ai demandé à la Safer - propriétaire - de dépolluer. Maintenant, on en est là», avance Philippe Onillon. La Safer s’en défend et remet l’État face à ses responsabilités : « L’État ne s’est pas déplacé pour constater le niveau de pollution », regrette Stéphane Hamon. Qui souligne en revanche que tout était prêt pour la venue d’Emmanuel Macron, le matin du 6 juin, pour inaugurer le mémorial. De son côté, Nicolas Fourrier répond : « La réglementation relative au droit de l’environnement est très claire sur le sujet: elle pose le principe du « pollueur - payeur ». Le responsable de l’apport de ces matériaux est responsable de sa dépollution. Cette responsabilité se reporte sur le propriétaire du terrain en cas de carence (non-identification, insolvabilité, incapacité) de sa part. Concrètement, la demande de l’État est la suivante : que le responsable de l’apport sur cette parcelle, s’il est identifié, fasse réaliser une caractérisation, en quantité et en qualité, des matériaux apportés. C’est une demande essentielle sur laquelle des constats et sanctions peuvent-être lancés. » La parcelle « se situant dans un périmètre de protection de captage d’eau destinée à la consommation humaine établi par arrêté préfectoral instruit par l’ARS, tous travaux qui pourraient toucher cette parcelle, en particulier ceux qui seraient liés à la dépollution éventuelle, devront-être portés à la connaissance préalable de l’ARS, avec tous les éléments d’appréciation », prévient Nicolas Fourrier. 

Pertes de revenus
Dominique Delabie exploite actuellement une parcelle, à titre provisoire.
« Pour le moment, j’attends, soupire-t-il. Soit on me prouve qu’il n’y a pas de risque de pollution, ni maintenant ni plus tard. Soit il y a un risque et là il faut que chacun prenne ses responsabilités. » Le 24 juin, il confirme par courrier à la Safer sa « candidature à l’achat du terrain ZA57, à condition que tout risque de pollution de la nappe de Verbosses soit écarté du fait du remblaiement effectué les années passées. Il est donc important que les services de l’État certifient ne pas se retourner contre moi en cas d’achat de ce terrain. […] Il se trouve que chaque mois qui passe représente une perte de revenu pour moi et nécessitera je l’espère une révision à la baisse du tarif d’achat de ce terrain. » Nicolas Fourrier de conclure: « L’État agit actuellement, au côté du maire de la commune, pour reconstituer l’historique de l’apport de ces matériaux et déterminer le responsable de la situation, pour permettre à M. Delabie de l’exploiter sereinement ».

Compensation collective

En mai 2019, la Safer, la FDSEA, la Coordination rurale, les JA, la Confédération paysanne et la Chambre d’agriculture ont adressé un courrier commun au préfet du département. Celui-ci a pour objet : « absence de compensation collective projet Normandy mémorial trust ». En effet, lorsque du foncier agricole est consommé, les acquéreurs doivent s’acquitter, en plus du prix de la terre, d’une mesure de compensation collective. Les OPA écrivent : « nous n’osons penser que ce projet soit totalement exonéré de toute compensation, alors même que des besoins se sont fait sentir à proximité immédiate et que vous l’aviez vous-même imaginé. Cette solution d’absence totale de compensation serait en effet un très mauvais signal pour la préservation des terres agricoles dans notre département et créerait un précédent dont ne manqueraient pas de s’inspirer d’autres opérateurs ». L’idée : demander aux Anglais, dans le cadre de la compensation collective, de contribuer à la dépollution du site. La balle est dans le camp de l’État.

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