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“Notre objectif est toujours de 1 000 vaches”

L’investisseur à l’origine du projet de “ferme des 1 000 vaches” dans la Somme, Michel Ramery, n’a pas abandonné son objectif de porter la taille de son troupeau à 1 000 vaches. Actuellement, le cheptel n’est que de 500 animaux. Mais l’étable et le méthaniseur, dont la capacité va être diminuée de moitié, sont toujours dimensionnés pour un troupeau de 1 000 vaches. Et ses initiateurs cherchent « des solutions » pour passer à cet effectif, explique le chef du projet, désormais responsable du site, Michel Welter.

“Si on veut être producteur de lait demain, il y a deux possibilités. Un produit à haute valeur ajoutée, des fromages AOC et des yaourts locaux, et là il y a des vrais créneaux. Mais il faut aussi du lait pour le fromage à pizza, le fromage blanc, les yaourts grande consommation”
“Si on veut être producteur de lait demain, il y a deux possibilités. Un produit à haute valeur ajoutée, des fromages AOC et des yaourts locaux, et là il y a des vrais créneaux. Mais il faut aussi du lait pour le fromage à pizza, le fromage blanc, les yaourts grande consommation”
© DR

Où en est la “ferme des 1 000 vaches” ?
Comme vous le savez, nous avons démarré l’exploitation du site, le 12 septembre, avec 130 vaches. Nous sommes rapidement passés à 400 vaches, et nous en avons aujourd’hui 500. Cependant notre projet est dimensionné pour 1 000 vaches. Notre objectif est toujours d’atteindre 1 000 vaches. Nous avons récemment décidé de déposer un permis modificatif, qui vise à réduire la puissance du méthaniseur (celui-ci n’est pas encore construit, ndlr). Nous avons accepté de passer à 600kW (1,3MW initialement, ndlr). Il est dimensionné pour 1 000 vaches, mais nous allons changer la formulation et n’utiliser que des produits de l’exploitation.

Votre projet prend forme quelques mois avant la fin des quotas laitiers en avril prochain. Aurait-il pu voir le jour, il y a 10 ou 15 ?
Oui, nous aurions créé une méga-société civile laitière (SCL) ou un méga-arrêt Ballmann (deux dispositifs qui permettent de regrouper les troupeaux de plusieurs exploitations, ndlr). C’est une histoire d’hommes. Nous avons réussi à mettre huit personnes autour de la table, nous aurions pu en mettre 20. L’avantage, c’est qu’aujourd’hui, nous n’avons plus à gérer les contraintes administratives de la gestion des quotas laitiers.

Outre sa taille, c’est un projet original dans sa forme. Un investisseur, des agriculteurs, un chef de projet et des salariés. Comment tout cela fonctionne au quotidien? Qui décide ?
Un des associés (Michel Ramery, ndlr) a décidé d’investir dans une structure de production laitière. Cette structure immobilière a été mise à disposition et louée à la société exploitante (SCL Lait Picarde). Les agriculteurs associés de la SCL participent au travail de deux façons. Certains travaillent sur l’atelier laitier, pour presque l’équivalent d’un temps plein. Ce sont des producteurs de lait dans l’âme, et qui pour des raisons de mises aux normes, infaisables à leur échelle, ont préféré venir dans une structure collective. D’autres avaient un atelier laitier, mais avaient déjà un salarié pour faire le boulot ; ils vont transférer leur atelier avec le salarié. Ceux-là assurent plutôt des missions de gestion, de surveillance. Au quotidien, il y a un responsable de site, c’est ma mission, pour la gestion et l’encadrement du personnel, et le suivi du travail administratif de fond (permis, autorisation etc).

Il y a 3 ans, vous défendiez l’idée que votre projet est une solution, dans un département confronté à une forte déprise laitière, pour les agriculteurs qui ne voulaient plus faire de lait. Est-ce que cela s’est vérifié, avez-vous été sollicité par de nombreux agriculteurs ?
C’est encore pire que je l’imaginais. Il y a trois ans, je pensais que ce serait plutôt des agriculteurs avec 40-50 vaches, confrontés aux difficultés de la mise aux normes, qui nous rejoindraient dans la SCL ; des gens au bout de leur système, qui n’arriveraient pas à faire mieux financièrement. Il y a bien un agriculteur de ce profil qui nous a rejoint. Mais depuis, ce sont des troupeaux de 100-120 vaches qui nous ont rejoints. C’est ce qui m’a surpris ! Ces troupeaux viennent souvent de fermes issues de regroupements, des vieux Gaec qui avaient eu, un temps, une stratégie de développement, en élevage et culture (ils exploitent entre 150 et 300 hectares). Au départ à la retraite d’un des associés, ils réfléchissent à trois hypothèses : salarié, robot, arrêt. Il y a encore un an, ils se disaient qu’ils allaient continuer car les indicateurs étaient au vert. Mais depuis six mois, comme les indicateurs sont au rouge, et que ce sont plutôt des gestionnaires, des stratèges, ils arrêtent. Si nous avions dû accepter tous les gens qui voulaient arrêter, il aurait fallu faire un projet deux à trois fois plus gros.

Dans la conception
de ce projet, vous avez,
un temps, réfléchi
à un modèle plus petit. Vous avez finalement choisi de faire un projet à 1 000 vaches.
Pour quelles raisons ?
L’idée initiale, c’était de faire passer une étable de 200 à 300 vaches. Mais quand nous avons vu les contraintes, la durée de l’investissement, la gestion de la main-d’oeuvre que cela représentait, nous avons décidé de passer sur un projet à 1 000 vaches. Il y a d’abord la main-d’oeuvre. Plus on est de monde, plus c’est facile de gérer les incidents de main d’oeuvre. Congés, maladies, formations... Il y a l’organisation. Eleveur, c’est un métier tellement compliqué ! Un seul gars ne peut pas avoir tout dans sa tête. Quand on est plusieurs, on peut spécialiser des gens. Pour moi, il faut rester en dessous de 200-250 vaches, ou aller au-delà de 500 vaches. Il y a aussi un schéma économique. On ne s’est pas dit « il faut qu’on fasse tout pour faire 1 000 vaches». On s’est dit « quelle somme doit-on et peut-on investir pour que la production soit rentable ? »

D’où vient l’intérêt de Michel Ramery, patron d’une entreprise de bâtiments et travaux publics, pour la production laitière?
Ne vous trompez pas, Michel Ramery est un pur produit de l’agriculture, puisque son premier job, c’était agriculteur (dans le Nord-Pas de Calais, ndlr), puis entrepreneur de travaux agricoles. Il est parti de sa ferme parce qu’il n’avait aucune possibilité d’améliorer ses conditions d’exploitation, de s’agrandir suffisamment pour avoir une masse critique pour se moderniser. D’origine, il est plutôt un cultivateur, plutôt un homme de champs, mais ses parents avaient du lait, et quand il a repris une exploitation agricole en 1995, elle contenait un atelier laitier, qu’il a décidé de poursuivre.
Comme c’est un chef d’entreprise, il a souhaité monter un projet économiquement viable.
Il pense que l’élevage, ce n’est pas seulement produire du lait, c’est aussi produire des déjections pour fertiliser ses champs. Les régions où les gens sont uniquement céréaliers commencent à avoir des petits soucis, donc il n’est pas idiot d’avoir un élevage de taille conséquente, qui fournit de la matière organique pour fertiliser nos champs.

Vous dites que Michel Ramery n’a pas pu s’agrandir quand il était jeune agriculteur. Est-ce lui aujourd’hui, l’agriculteur qui accentue la pression foncière et empêche ou complexifie l’installation de jeunes sur son territoire ?
Je conçois qu’on puisse le penser. Mais le frein à l’installation, ce n’est pas Michel Ramery, c’est la taille des structures qui fait qu’aujourd’hui un jeune qui débarque n’a pas forcément les ronds pour reprendre. Oui, le cédant cède régulièrement au plus offrant. Nous-mêmes, nous avons été confrontés au problème. L’un de nos associés voulait céder la ferme à un jeune. Il s’est mis d’accord sur le prix, mais aucune banque n’a suivi. Cela prouve bien le problème d’efficacité économique de l’agriculture. Si c’était si rentable, une petite ferme, il n’y aurait aucun problème pour installer un jeune derrière. Depuis six ans, nous n’avons pas repris un hectare. Nous n’empêchons pas la reprise. Nous sommes toujours à la même surface, nous travaillons désormais sur la valeur ajoutée de l’exploitation. Au lieu de produire bêtement des céréales, nous cultivons des fourrages pour les transformer en produits élaborés, le lait et la viande.

Vous dites qu’il y a un problème d’efficacité économique dans l’agriculture. Michel Ramery a pourtant investi dans le lait. Est-ce rentable, autant que les grandes cultures ou l’immobilier ? Le lait peut-il intéresser des investisseurs extérieurs demain ?
Michel Ramery est un agriculteur producteur de lait, ça fait partie de ses tripes. C’est bien qu’il y ait encore des gens qui veulent investir en France. J’ai envie d’être choquant : nous sommes un circuit court. Que se passe-t-il si Michel Ramery n’investit pas et se la coule douce ? Que se passet-il si on arrête le lait et que l’on ne fait plus que des céréales sur l’exploitation ? On ne garde que trois personnes, et le lait viendra d’Allemagne ou de Hollande. En France, compte tenu des emmerdes que nous avons connues, les agriculteurs n’ont pas les reins assez solides pour conduire ces projets. Comme la France ne veut pas faire d’efforts, ce sont des investisseurs extérieurs au monde agricole qui conduiront ce type de projets. Beaucoup de gens sont intéressés, mais surtout pas en France pour l’instant. Ils investissent plutôt à l’étranger, en Europe ou dans des pays en développement. Et ça m’inquiète parce que demain, nous n’aurons en France plus que du reblochon et du camembert AOC à vendre. Si on veut être producteur de lait demain, il y a deux possibilités. Un produit à haute valeur ajoutée, des fromages AOC et des yaourts locaux, et là il y a des vrais créneaux. Mais il faut aussi du lait pour le fromage à pizza, le fromage blanc, les yaourts grande consommation. Si les Hollandais, les Danois, les Polonais le produisent moins cher que nous, s’ils ont des coûts de production inférieurs aux nôtres, ils arriveront toujours, tout en gagnant de l’argent, à le vendre moins cher que nous. Je ne dis pas qu’il faut baisser le prix du litre de lait, je dis qu’il faut baisser les coûts de production. Si les agriculteurs qui sont venus saccager nos installations n’arrivent pas à faire la différence entre prix de vente et coût de production, ça m’inquiète.

Vous étiez, vous-même, exploitant agricole avant de travailler pour Michel Ramery. Est-ce que le travail est différent ?
Quand j’étais agriculteur, je n’ai jamais été obligé d’aller au ministère de l’Agriculture, négocier une sortie de crise parce que des sauvages sont venus casser le hangar que nous essayons de construire.
En ce sens, nos opposants ont raison ; ils nous amènent à faire des choses que nous n’avions pas prévues. Au quotidien, cela reste un travail de ferme laitière. La grosse différence, c’est que nous sommes plusieurs à nous le partager.

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