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L’abeille est dans le verger

Selon l’INRA, la mortalité des colonies d’abeilles a atteint 30 % sur les 15 dernières années. Or, de la pollinisation des plantes à fleurs, dépend en partie notre alimentation quotidienne. Qu’en est-il sous le verger cidricole ? Regards croisés de Nolwenn, Patrick et Vincent.

© TG

llll Nolwenn Le Gal, Patrick Guyon et Vincent Saudubray sont tous 3 producteurs de pommes à cidre, respectivement à Plouay dans le Morbihan, Epaux-Bezu dans l’Aisne et Crannes-en-champagne en Sarthe. Dénominateur commun, ils disposent tous de ruches dans leur verger mais à chacun son histoire et sa perception d’un précieux auxiliaire de vie.

Ne pas assumer un rucher qui n’est pas le sien
«J’avais été sollicitée il y a 10-15 ans par des apiculteurs pour installer des ruches dans notre verger mais j’avais refusé. Le risque est trop grand de se faire accuser sur ses pratiques agricoles en cas de problème sanitaire alors que les causes de mortalité des abeilles sont très complexes à appréhender. Je ne veux pas assumer un rucher qui n’est pas le mien.»  Face à un débat parfois trop passionné, Nolwenn Le Gal joue la carte de la prudence.  Sur cette exploitation familiale située à Plouay (Morbihan), la vache laitière cohabite avec un verger de 30 ha dont 10 de nouvelles plantations pour couvrir la demande de la coopérative « Les Celliers Associés » dont Nolwenn assure la vice-présidence.  « L’histoire entre
l’homme et l’abeille est très ancienne et il y a beaucoup d’apiculteurs dans le coin, des bons et des moins bons, lâche-t-elle. En tant qu’arboriculteur, nous avons besoin de la pollinisation par les abeilles domestiques ou sauvages. Ce qui nous avantage par rapport à d’autres cultures, c’est que le pommier accepte un grand nombre de pollinisateurs.»
Nolwenn, par ailleurs vice-présidente de la Maison Cidricole de Bretagne, comptabilise 9 ruches à abeilles domestiques dans son verger plus quelques ruches à bourdons «pour compléter l’effectif. Le bourdon démarre son activité à des températures plus basses et peut travailler dans des conditions plus venteuses. Il est plus gros, son amplitude de travail est donc plus importante que l’abeille. Il est par ailleurs moins agressif ».  Les ruches à bourdons, qui s’achètent au même titre que les coccinelles, sont renouvelées tous les ans. 
Pour autant, Nolwenn ne lie pas la présence de ses ruches à une meilleure pollinisation de son verger. « Je n’en avais pas il y a quelques années mais je n'avais pas peur. Il y a toujours eu une grande diversité d'insectes en tout genre dans notre verger.» Explication avec un enherbement classique au départ qui, au fil du temps, va s’enrichir de toute une flore variée créant ainsi une diversité d’insectes. « Le trèfle, le pissenlit, toutes les plantes naturelles (...) attirent les insectes au sens large dont les pollinisateurs.» 
Autre explication avec l’environnement général. Le verger est mitoyen de bois, de prairies naturelles et autres cultures comme par exemple le sarrasin. « Les abeilles ont donc accès à une source florale très diversifiée pendant toute la période de végétation.» L’abeille mellifère et domestique y trouve son compte, ses variantes aussi. Ainsi, ce n’est pas tant la présence de ruches qui favorise la pollinisation, mais plutôt un couvert nourricier abondant et durable pour fixer un potentiel pollinisateur que la main de l’homme peut aussi exploiter à d’autres fins comme la production de miel. « C’est pour notre consommation personnelle et celles de nos proches, mais vous savez, c’est du travail et il faut
s’équiper en matériel.»
Reste une dernière explication à la présence de ruches dans le verger de Nolwenn depuis 5 ans.  « C’est aussi un moyen de se prémunir, avoue-t-elle. En cas de mortalité des abeilles, l’agriculture est souvent pointée du doigt. J’ai donc décidé d’installer des ruches pour disposer de traces au cas où on mettrait en cause mes pratiques culturales.»

De moins en moins de ressources en plaine
Dans la famille Guyon, je demande le grand-père, Jean-Pierre de son prénom. Il suffit de le piquer un peu au vif du sujet pour qu’il nous délivre toutes ses connaissances acquises sur le tas. Il y a une petite trentaine d’années, il a posé 4 ruches dès les premières plantations de son verger au milieu de la plaine du Grand Est Parisien. Désormais, il est à la tête d’une flottille de 45 unités. « Il faut environ 1,5 ruche/ha à raison de 50 à 60 000 abeilles par ruche pour une bonne pollinisation du verger. J’ai appris sur le tas et j’ai augmenté mon cheptel par essaimage.» 
Pour son fils Patrick, qui s’est associé à son père dès la création du verger, pas de doute. Si la présence de ruches au milieu des pommiers ne constitue pas une assurance tous risques, « en année d’alternance, ça devient intéressant. Cela compense une partie des pertes », juge-t-il sans pour autant pouvoir le quantifier de façon précise.
Et si l’approche à Epaux-Bezu n’est pas celle de Plouay, c’est que les deux écosystèmes diffèrent. L’élevage, et avec lui la prairie et son trèfle blanc, ont peu à peu disparu du paysage de ce coin de l’Aisne. « En juillet, août et septembre,pas facile de trouver des fleurs dans notre secteur de grandes plaines, confirment Jean-Pierre et Patrick. Les abeilles disposent de moins en moins de ressources. Le colza hybride produit un pollen non accessible. Dans le maïs ou le tournesol hybride, elles y vont de moins en moins... Il faudrait une meilleure coordination entre apiculteurs et agriculteurs.»  Pour autant, les mentalités évoluent dans le bon sens. « J’ai un cousin qui sème 3 variétés différentes de colza dont deux non hybrides », se réjouit Patrick.
Reste quand même que l’évolution des pratiques culturales n’explique pas tout. L’abeille a de multiples prédateurs qu’il n’est peut-être pas politiquement correct d’incriminer. On ne parle pas du frelon asiatique « pas présent chez nous, mais le frelon européen peut faire de très gros dégâts dans un rucher », assure Jean-Pierre qui précise aussi que « la mésange et l’hirondelle sont de gros mangeurs d’abeilles.  Sans oublier le pic-vert qui, l’hiver, fait des trous dans les ruches pour se nourrir d’abeilles ». D’ailleurs, chez les Guyon, les ruches sont carénées d’aluminium pour éviter l’accident. « Une ruche peut aussi geler. En période de grands froids, la reine doit rester à 36-37°C. Les ouvrières la réchauffent par un mouvement de rotation. Alors, s’il n’y a pas assez de population, on peut tout perdre.»
Sur le plan sanitaire, l’abeille est également parasitée par le varroa, la tique, l’asticot, la fausse teigne... Des traitements préventifs s’imposent notamment à base d’acide formique fin août après la récolte. Ce qui n’altère en rien la qualité du miel dont la production et la commercialisation en vente directe constituent une vraie activité économique aussi à Epaux-Bezu. « Une bonne année, on en produit plus d’une tonne », se réjouit Jean-Pierre. Un vrai miel de pays, pas de Chine. Mais ça, c’est une autre histoire.

Des bandes mellifères et nourricières
« Mon père aimait beaucoup se faire piquer par les abeilles », plaisante Vincent Saudubray. Plus sérieusement, à Crannes-en-Champagne (Sarthe) où le poulet de Loué est roi dans un paysage scindé par la LGV (Ligne Grande Vitesse) Paris-Rennes, les abeilles et les pommiers ont toujours eu court. « Autrefois dans les petites fermes, on faisait beaucoup de vente à la ferme ou sur les marchés : fruits, légumes, volailles, œufs, pigeons mais aussi du miel. Il s’agissait d’un complément de revenu à la base ».  Le verger basse-tige a fait son apparition sur l’exploitation en 1992, bordé de quelques ruches qu’il a fallu déplacer à cause du passage de la ligne SNCF. Et Vincent Saudubray d’avouer qu’il porte une attention un peu plus particulière sur la pollinisation depuis les années 1995 d’autant plus qu’il a réimplanté un nouveau verger il y a 2 ans.
« Depuis 4-5 ans, nous vivons des printemps un peu compliqués au niveau température avec pour conséquence une mauvaise pollinisation, notamment sur Petit Jaune. Je me suis donc demandé si l’une des causes n’était pas un manque d’insectes pollinisateurs.» Vincent n’a pas la réponse à sa question, mais cherche à confirmer, ou non, ses hypothèses à travers son sens de l’observation et quelques expérimentations in situ. « Les ruches démarrent plutôt bien au printemps, mais c’est la disette l’été. Ça a été très net cette année après la floraison des colzas fin avril. Une bonne récolte début mai avec 7 à 8 kg de miel par ruche, mais une seconde récolte très faible. La ressource n’est plus aussi importante l’été aujourd’hui que dans le passé. Avant, il y avait du trèfle, des chardons...»
Vincent a donc semé des bandes mellifères de 100 m x 3 m pour un total de 1 500 m2. « Le mélange s’est révélé très riche du début printemps jusqu’en juillet. Après, il a fait très sec et nous avons été obligés de broyer. Nous devons attendre désormais l’an prochain pour voir ce qui repousse.» Pas de conclusions hâtives pour cet an I, mais déjà quelques éléments pratiques. « Il faut privilégier des endroits où l’on ne roule pas trop avec les tracteurs. Autre facteur limitant, la nature du mélange. Toutes les espèces ne sont pas obligatoirement adaptées à une même nature de sol. Il faudrait faire ses propres mélanges et les tester un par un.» Le coût économique est également à considérer. « Un sac de semences, c’est vite 50 € auxquels il faut ajouter les coûts d’implantation.»
In fine et affirmant que « faire des bandes fleuries ne me pose aucun souci même si cela pose le problème de la circulation des engins et que l’on peut s’interroger sur leur pérennité », Vincent émet d’autres alternatives. « Il faudra peut-être dans l’avenir accepter un verger un peu plus foutraque, un verger avec un peu plus d’anarchie, avec du trèfle blanc qui s’y plait très bien... On plaidait le contraire il y a 20 ans. On estimait qu’il apportait trop d’azote. Il faut tester, trouver des équilibres et travailler là-dessus. Une autre solution constitue peut-être en la replantation de haies ou de bosquets en périphérie ou au milieu du verger pour favoriser la biodiversité.»
Et si la démarche de Vincent est  individuelle, il appelle à plus de concertation et de mutualisation sur le sujet.
En attendant, Alice, Etienne et Gabriel (ses enfants) veillent aux ruches en enfilant les combinaisons de protection. La production de miel, « c’est du boulot, mais c’est aussi leur argent de poche ». Alors, pensez donc on veille au grain. Une tradition familiale.

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