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Les quatre vérités de Jean Bizet : beauté, modernité, compétitivité et productivité

« Le retour à la binette ? Ce serait la honte de l'agriculture. Il faut faire passer ce message dans les milieux qui ne connaissent pas la dureté, la réalité, la difficulté mais aussi la beauté du monde agricole », résume Jean Bizet. Le sénateur anti agribasching de la Manche considère que les Chambres d'agriculture et leurs élus constituent les interlocuteurs indispensables pour coconstruire l'avenir de la Ferme France.

Jean Bizet au côté de Christiane Lambert (présidente de la FNSEA) lors des 70 ans de la FDSEA de la Manche vendredi dernier : « l'agriculture m'a toujours séduit. Mon métier d'autrefois (ndrl : véto) m'a amené à côtoyer nuit et jour ces acteurs du monde rural. J'ai apprécié et apprécie encore ces femmes et hommes vrais. Le monde agricole peut être fier de lui, toujours en évolution, voire en révolution, à savoir précéder les évolutions qui l'attendent».  DR
Jean Bizet au côté de Christiane Lambert (présidente de la FNSEA) lors des 70 ans de la FDSEA de la Manche vendredi dernier : « l'agriculture m'a toujours séduit. Mon métier d'autrefois (ndrl : véto) m'a amené à côtoyer nuit et jour ces acteurs du monde rural. J'ai apprécié et apprécie encore ces femmes et hommes vrais. Le monde agricole peut être fier de lui, toujours en évolution, voire en révolution, à savoir précéder les évolutions qui l'attendent». DR
© TG

>> En quoi une chambre d'agriculture départementale peut-elle être utile à un élu local ?
La Chambre départementale, c'est l'assemblée du monde agricole.Tout d'abord celle des agriculteurs actifs, bien évidemment, mais aussi des anciens, des différentes filières, des différents territoires...
A titre personnel, et depuis 20 ans que je la fréquente, j'y ai appris beaucoup de choses.
C'est au sein de cette assemblée que les élus locaux peuvent obtenir des informations, créer des interactions avec leur propre politique en matière d'urbanisme, de mise en place de zones d'activités, de pérennisation des exploitations agricoles parce que c'est aujourd'hui une vraie question qui se pose aux élus locaux.  Il va falloir gérer précisément cette problématique.
Gérer aussi les conflits de voisinage avec des populations qui, malheureusement parfois, ne comprennent pas toujours très bien le monde agricole.
Enfin, et au-delà de la très belle qualité de réflexion et de prospective des Chambres d'agriculture, les élus locaux ont là une interface extrêmement utile à la conduite de leur politique en zone rurale mais aussi en espace périurbain.

>> Et à l'échelon national, l'APCA (Association Permanente des Chambres d'Agriculture) pèse-t-elle sur les orientations prises par le Sénat ?
Assurément ! Chaque année, au travers de la loi de Finances, il est extrêmement utile que l'on nous envoie des messages sur la fiscalité qui va être mise en oeuvre dans l'année qui suit, des messages sur la fragilité ou les espoirs de telle ou telle filière...  Et puis, il y a une donne qui prend de plus en plus d'importance, c'est le domaine environnemental, la dimension sociale de l'agriculture. Il est donc nécessaire d'avoir des échanges nourris avec l'APCA. Et, en ce qui me concerne, une très grande proximité.

>> Elle est importante cette proximité ?
Elle est essentielle et au-delà de la notion de confiance. Pourquoi ? Parce qu'il est fondamental de bien sentir les soucis, les préoccupations et les projections du monde agricole dans un contexte qui n'y est pas toujours favorable que ce soit au travers des orientations des environnementalistes, des orientations de ceux qui se réclament du véganisme...
Donc pour les élus, et surtout ceux qui ne sont pas issus du monde agricole, et ils sont de plus en plus nombreux, il faut entretenir des relations étroites avec l'APCA et ses représentants.

>> L'agriculture dispose d'une assemblée permanente, d'un ministère dédié. C'est le fruit de l'histoire mais cette spécificité est-elle durable ?
Je le souhaiterais mais ma crainte, c'est que la donne environnementale l'emporte sur la donne économique. Nous en sommes là.
Alors pourquoi ? Parce que nous vivons dans une société française qui ne connait pas la famine. Il faut dire la vérité. On ne voit aujourd'hui l'agriculture qu'au travers du prisme de la bio, au travers du prisme de l'environnement.  On a complètement oublié que l'agriculture, depuis 1992, est entrée de plain-pied dans l'économie de marché. Que nous ne sommes plus dans une économie agricole administrée et que, dans cette économie de marché, tout le monde ne joue pas à armes égales.
En fonction des pays et donc en fonction des politiques menées, et même au sein de l'Union Européenne alors que nos agricultures sont sous l'égide entre guillemets de la PAC, il y a des divergences. Divergences d'approche qui génèrent des distorsions de concurrence.
Au niveau national, il y a de moins en moins d'élus qui connaissent le monde agricole donc il est clair que l'on assiste de plus en plus à « une non-prise en compte » des réalités du métier d'agriculteur. La donne environnementaliste et le poids des réseaux sociaux font que l'agriculteur est de plus en plus obligé de justifier ses pratiques. Ça devient difficile.
Encore une fois, si nous n'avons pas nous, élus, une connaissance de base suffisante de par nos origines ou de par nos relations avec les professionnels au travers des Chambres ou de l'APCA, et bien on risque, au moment de prendre des décisions, de ne pas prendre les bonnes.

>> Les élections professionnelles agricoles, c'est maintenant. A un agriculteur qui se dirait « a quoi bon aller voter ! », que diriez-vous ?
Que ce soit pour cette élection ou d'autres, c'est très clair : il ne faut pas venir se plaindre après. Moi j'invite tout le monde, dans tout type de scrutin, à s'engager. Donc, « allez voter ». C'est essentiel si on veut maîtriser l'évolution de sa profession.
Je me considère comme un élu plutôt branché et plutôt moderne mais je suis sidéré par le rôle que jouent les réseaux sociaux, par le rôle que jouent les fake-news...
Des vérités scientifiques sont mises à mal par des emballements médiatiques et des réseaux sociaux qui voudraient faire croire des contre-vérités. Ce n'est pas ça la démocratie.La démocratie, ce sont les urnes et les bulletins de vote.

>> En temps qu'observateur et même acteur du monde agricole depuis plusieurs décennies, pensez-vous comme certains que c'était mieux avant ?
Je ne suis pas dans cette posture mais les rapports humains étaient plus intéressants avant parce qu'il y avait un lien social important.
Aujourd'hui, c'est différent, notamment avec l'arrivée d'internet. Un outil exceptionnel mais qui fait qu'on se rapproche du lointain mais que l'on s'éloigne du voisin.
Mais chaque époque a sa vérité. La nôtre, aujourd'hui et en ce qui nous concerne, c'est l'agriculture la plus pertinente du monde. C'est, et j'ose le dire aussi, une des agricultures les plus productives du monde. J'admire les agriculteurs pour cela aussi. Malheureusement, on considère en France aujourd'hui et concernant l'agriculture, que le mot « compétitivité », le mot « productivité » étaient péché.
Eh bien « non ». L'agriculteur est un chef d'entreprise. Il doit être compétitif. Il doit être habile en matière de productivité et on peut être tout cela en respectant l'environnement. On a voulu opposer les deux, c'est une erreur fondamentale.
L'agricuture d'autrefois, ce n'était pas forcément la meilleure au regard de l'environnement, assurément pas la meilleure en terme de productivité, alors je n'ai pas de vision passéiste d'autant plus que nous sommes aujourd'hui dans une économie de marché.

>>  Vous entretenez un lien privilégié avec l'agriculture et ses acteurs ?
L'agriculture m'a toujours séduit. Mon métier d'autrefois (ndrl : véto) m'a amené à côtoyer nuit et jour ces acteurs du monde rural. J'ai apprécié et apprécie encore ces femmes et ces hommes vrais. Le monde agricole peut être fier de lui, toujours en évolution, voire en révolution, à savoir précéder les évolutions qui l'attendent. 

>> Sur ce point, vous ne faites pas l'unanimité ?
Je suis très remonté contre les fake-news et autres contre-vérités. Je suis notamment extrêmement critique vis-à-vis des bobos parisiens qui ne connaissent l'agriculture qu'à travers d'actes d'achat dans des boutiques spécialisées de produits aseptisés, de produits marketés. Ce n'est pas du tout cela l'agriculture.

>> Vous parliez d'évolution, voire de révolution, vous pensiez à la réforme de la PAC ?
Il y a des politiques ou des évènements qui risquent de bousculer la donne actuelle. La PAC en fait partie. Je crains qu'elle ne devienne de moins en moins commune et de plus en plus nationale avec une ligne budgétaire de plus en plus difficile à mobiliser. Je pense particulièrement aux pays d'Europe du Nord qui affichent d'autres priorités. 

>> L'actualité chaude, c'est le Brexit. Même pas peur ?
Attendons de voir ! Nous sommes à 3 jours de la sortie d'un éventuel plan B de Thérésa May (1). On a assisté , mardi dernier, à un rejet de l'accord du 5 novembre. On peut certes s'attendre à des changements de flux commerciaux avec des partenaires avec lesquels nous sommes excédentaires mais je ne suis pas plus inquiet que cela. Nous disposons d'une capacité de rebondissement. Mon point d'inquiétude, par rapport au Brexit, c'est le domaine de la pêche. 

>> Les agricultrices et les agriculteurs vivent de plus en plus mal l'agri-basching. Ils évoquent de plus en plus une dictature environnementaliste. Vous partagez ce sentiment ?
Je suis inquiet. Nous sommes face à un mouvement de fond intellectuellement et malhonnêtement construit, bâti, exploité... Je suis très sensible à l'évolution du réchauffement climatique de la planète mais il est dû aux modes de production de l'homme dans tous les secteurs, y compris mais pas que, agricole.

>> Et vous proposez quoi pour s'en sortir ?
On ne s'en sortira que par le haut et par des sauts technologiques et non pas par des retours à la lampe à huile ou par la décroissance. Ce serait une erreur fondamentale d'approche, le luxe des bobos parisiens du 7ème ou du 16ème.  Au risque de me répéter, je reste très critique vis-à-vis de ceux qui veulent commander ou organiser les modes de productions agricoles alors qu'ils n'ont aucune légitimité ou de connaissances pour le faire.

>>Cette approche, elle est très gauloise ?
La France est souvent le pays qui, dans l'élaboration de directives ou de règlements communautaires, veut souvent donner le LA sans prendre en compte cette réalité qu'elle évolue dans un marché unique. Ce qui signifie un marché de libre circulation des biens et des personnes.
En d'autres termes, quand on interdit à telle ou telle filière agricole française l'utilisation de telle ou telle substance pour produire un bien alimentaire que l'on retrouve finalement, via l'import, sur l'étal du consommateur dans l'Hexagone, on crée une distorsion de concurrence qui n'est pas acceptable.

>>>> Vous n'avez jamais été langue de bois sur les OGM. Où en êtes-vous aujourd'hui ?
On m'a quelque peu caricaturé sur le sujet mais je m'en moque largement. La France ne peut pas avoir raison contre l'ensemble du monde.
Le respect de l'environnement n'est pas incompatible avec les biotechnologies. A ce titre, je tiens à saluer l'évolution très très récente de l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) sur les NBT. Il considère désormais qu'il ne fallait peut-être pas, de prime abord, rejeter les New Breeding Techniques. Les NBT nous offrent une séance de rattrapage.

>> Concrètement, ça signifie quoi ?
Que nous sommes confrontés à 3 alternatives.
Un: les phytosanitaires d'aujourd'hui, avec les outils d'épandage d'aujourd'hui, qui se raisonnent plus en mm3 ou cm3 qu'en litre autrefois.
Deux : la mutagénèse et ses évolutions en ce qui concerne de nouvelles semences respectueuses des barrières d'espèces.
Trois : la binette. Ce serait la honte de l'agriculture. Il faut faire passer ce message dans les milieux qui ne connaissent pas la dureté, la réalité, la difficulté mais aussi la beauté du monde agricole.


(1) : interview réalisée le 18 janvier dernier.

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