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VIDEO. Sylvie Brunel (géographe) : « ne pas traiter, c'est s'exposer au risque de ne pas pouvoir manger »

llll Sylvie Brunel sera l'invitée de la prochaine assemblée générale de la FDSEA du Calvados, le 5 avril. Loin de l'image « Martine à la ferme », cette universitaire défend une agriculture. Pour elle, les traitements ne sont pas tabous et les exploitants agricoles doivent être fiers de leur modernité. Sylvie a présidé l'ONG Action contre la faim. Elle est également professeure des universités en géographie à Paris-Sorbonne. Sylvie Brunel a publié une vingtaine d'ouvrages consacrés au développement, à la famine ou à l'agriculture. Parmi les derniers parus, «Plaidoyer pour nos agriculteurs, il faudra demain nourrir le monde (Buchet-Chastel). Croquer la pomme, l'histoire du fruit qui a perdu le monde et qui le sauvera (Lattès)».

© SB

>> Vous êtes connue pour défendre une «agriculture compétitive». Comment la définissez-vous ?
Nous avons besoin d'une agriculture qui réponde aux besoins alimentaires et non alimentaires de notre pays en assurant notre souveraineté et notre indépendance. Ce qui veut dire qu'elle doit être capable de résister face à la concurrence croissante d'un marché mondialisé, de maintenir ses parts de marché en France et dans le monde, tout en rémunérant correctement ceux qui la pratiquent. Et bien évidemment, sans sacrifier l'environnement, bien au contraire !

>> Avec une vision productiviste de l’agriculture, vous sentez-vous isolée dans le milieu des universitaires français ?
Je déteste ce mot de productiviste qui est péjoratif ! J'ai une conception de l'agriculture nourrie par vingt ans d'expérience de terrain dans les ONG. Après avoir connu les rendements dérisoires des campagnes pauvres, les ravages causés par les infestations parasitaires, les crises climatiques à répétition et les pénuries alimentaires chroniques - qui se répètent en ce moment même dans toute une partie du monde -, difficile de ne pas défendre une agriculture performante, efficace, nourricière, au lieu de plaider, contre toutes les évidences historiques et géographiques, pour un grand retour en arrière ! Ou d'idéaliser le bio, les circuits courts, etc. Mais je ne suis pas si isolée que vous le pensez... J'ai de nombreux collègues géographes très compétents, comme Jean-Paul Charvet, Yvette Veyret ou Jean-Robert Pitte. La géographie est la science de l'intelligence du monde.

>> Quel lien faites-vous entre l’agriculture et la géographie ?
La géographie part du territoire, comme l'agriculture. Comme le paysan, le géographe doit connaître le relief, la pédologie, le climat, la végétation, les circuits commerciaux, les modes de transport et les besoins des hommes. Comme le paysan, il doit pouvoir lier toutes ces données pour construire une vision cohérente des économies. Comme le paysan, le géographe sait bien que nos paysages sont des héritages. Nous avons le pouvoir de transformer l'espace pour le rendre vivable et capable de porter une humanité croissante. La géographie, comme l'agriculture, c'est la science des possibilités. Permettre à l'homme d'habiter la terre et d'en tirer le meilleur.

>> L’agriculture ne semble plus un secteur stratégique en France ? Est-ce un problème franco-français ?
C'est plus qu'un problème : un drame. Ce pacte a uni la France à ses paysans après la Seconde Guerre mondiale, et a fait de notre pays une grande nation nourricière et exportatrice (sur 5 % seulement de la SAU mondiale !). Ce pacte, qui a fait que l'agriculture française est perçue par les pays émergents comme l'une des meilleures et des plus sûres du monde, a été rompu. Nos agriculteurs ont si bien travaillé que leurs concitoyens ont oublié la peur de manquer. Ils souffrent aujourd'hui de leur amnésie et de leur ingratitude. La plupart des autres pays, Etats-Unis, Chine, Japon, Inde, Brésil, savent à quel point leur agriculture est stratégique. Ces nations mettent tout en ½uvre pour la développer. Nous sommes en train de perdre la nôtre.

>> Les agriculteurs se sentent souvent mal aimés par leurs concitoyens. Ils ont pourtant le sentiment d’avoir réalisé de nombreux efforts pour rendre leurs pratiques plus propres. D’où vient ce décalage ?
Justement de la méconnaissance de beaucoup de Français. Ils ont conservé une vision passéiste et bucolique de leur agriculture. C'est le syndrome Martine à le ferme ou l'amour est dans le pré. Ils se sont habitués à pouvoir se nourrir en toutes saisons de produits bons, sûrs et pas chers. Les Français croient que ce privilège lié à l'excellence d'une profession relève l'évidence. Du coup, beaucoup pensent qu'en bannissant toutes les méthodes de l'agriculture moderne (de bonnes semences, des produits de traitement des plantes utilisés de manière raisonnée et à bon escient, de l'irrigation, une transformation compétitive et sécurisée), ils reviendront au vrai, au bon, au bio, à cette "nature". Ils idéalisent parce les milliers de morts par intoxication alimentaire et l'espérance de vie faible des années soixante sont oubliés. Pourtant, il n'est pas si loin le temps où l'on bourrait ses placards de sucre, de pâtes et de farine par peur de manquer !

>> La part de l’alimentation dans le budget des ménages a fondu en 50 ans. Elle représentait 35 % des dépenses en 1960  contre 20 % en 2014 (Source INSEE). Les agriculteurs peuvent-ils avoir du crédit auprès de la population alors qu’on leur demande de produire toujours moins cher ?
Je dirais même moins de 15 % ! Il y a une contradiction fondamentale entre demander de produire bon marché et refuser la modernisation de l'agriculture et la standardisation des méthodes. 9 millions de personnes en France souffrent encore de la pauvreté ! Beaucoup croient que la solution réside dans la toute petite échelle. Elle ne peut pourtant pas rémunérer un paysan sauf s'il vend très cher sa production. Qui aura alors les moyens demain de se nourrir ?

>> En 2015, vous avez signé une chronique intitulée «Les agriculteurs ne sont pas des pollueurs empoisonneurs» (Visible sur lemonde.fr). Devoir le souligner ne révèle-t-il pas une fracture définitive avec la population ?
Je n'arrête pas de signer des tribunes pour défendre le monde agricole !
Si les agriculteurs  jettent l'éponge, nous aurons la faim, la friche, la fermeture des paysages, du feu dans le midi. Arrêtons de les critiquer, de les décourager ! Allons à leur rencontre. La population comprendre combien il faut être brillant pour bien cultiver la terre et élever les bêtes. Car les agriculteurs doivent aussi faire face à toutes les attentes alimentaires, environnementales, normatives, tout en réussissant à en vivre !


>> Vos détracteurs vous reprochent de dire que « la conversion au bio n’est pas forcément meilleure pour la planète ». Assumez-vous cette position et comment la justifiez-vous ?
Non seulement je l'assume, mais je la revendique ! Le bio est un isolat qui ne peut fonctionner que s'il reste un isolat. C'est une niche marketing qui permet aux grandes surfaces et à des professionnels de la communication de vendre plus cher.  Ces produits ne sont ni meilleurs au goût, ni plus sains pour la santé. Leur promotion repose sur des peurs infondées. Et ce qui m'inquiète, c'est que les paysans bio ne pourront en vivre que tant qu'ils resteront une minorité. De plus, quand la vérité sur le bio éclatera, la vérité sur les traitements et le risque de contamination, ils risquent de souffrir d'une désaffection. Elle sera d'autant plus violente que les Français les accuseront de les avoir trompés.

>> Après avoir écrit le livre «Croquer la pomme», vous dites que c’est un fruit miracle. Même avec ses pesticides ?
Arrêtons avec le Voldemort des pesticides ! Ne pas traiter, c'est s'exposer à tous les risques, y compris celui de ne pas pouvoir manger. Non seulement les pommes, qui sont des fruits fragiles, bénéficient de toutes les attentions des arboriculteurs pour être les meilleures possible pour la santé, particulièrement dans les vergers dits "écoresponsables", mais l'agriculture française applique les normes et les contrôles les plus rigoureux du monde ! Quand ils sont malades, les gens se soignent. Mais les plantes, elles, devraient être livrées sans défense à tous les ravageurs, les moisissures, les maladies ?

>> Le barrage de Sivens  et la mobilisation des « Zadistes » ont alimenté les médias pendant de nombreuses semaines. Est-ce réaliste d’être encore favorable à l’irrigation ?
Evidemment, surtout avec le changement climatique qui augmente les risques. Sans irrigation, pas de récoltes régulières et de qualité. Un paysan qui irrigue ne meurt jamais de faim. Sivens voulait sauver des petits paysans exposés à l'irrégularité croissante des précipitations. Et une fois créé, un plan d'eau est toujours une réserve de biodiversité, une aire de loisirs, un bonheur paysager. Encore une occasion manquée. Aujourd'hui le marais poitevin, la Dombes ou la Camargue ne pourraient être créés !

>> Selon vous, parmi les candidats à l’élection présidentielle, lequel comprend le mieux la réalité de l’agriculture française ?
Joker parce que la réponse est hélas déplaisante. Par notre faute : nous avons laissé trop de gens souffrir et se décourager. Mais, contrairement à ce que disent certains candidats, nous avons besoin de l'Europe, un immense marché et une protection pour nos producteurs. Même si cette protection aujourd'hui s'affaiblit et se désarme unilatéralement.

>> Etre politiquement classé à gauche et défendre les OGM : est-ce compatible ?
Oui, car la gauche met au premier plan les préoccupations sociales. Les 800 millions de personnes qui souffrent de la faim, des ruraux pauvres, ont un besoin urgent de bonnes semences, d'une protection contre des ravageurs. Ces derniers se multiplient avec le changement climatique et la mondialisation. Il faut des aliments essentiels, comme il y a des médicaments essentiels. Les OGM font aussi l'objet d'une recherche publique et d'abandons de brevets !

>> Vous avez été présidente d’Action Contre la faim. Les exportations des grandes nations agricoles ont-elles tué l’agriculture des pays en développement ?
Il fallait nourrir les mégalopoles et les pays ont paré au plus pressé. Mais les paysans du Sud en ont souffert. Toutes les agricultures doivent être soutenues et protégées. Surtout si l'on veut maintenir une petite agriculture familiale paysanne, garante d'emplois et de création d'un marché intérieur.

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