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2016, pas mieux que 2015

À l'été 2015, le monde agricole affichait son désarroi à travers des manifestations dans tout l'hexagone. Pas de mobilisation à grande échelle un an après, mais les difficultés des exploitations sont toujours là. Lait, viande bovine, porcs et grandes cultures, les représentants des sections spécialisées illustrent cette situation critique en chiffres.

Mauvais rendement et prix bas : les céréaliers pessimistes

Le commentaire de Damien Auclaire, président de la section grandes cultures de la FRSEA de Normandie.

Epargné par la crise qui a touché l'élevage en 2015, le secteur des grandes cultures semble plonger dans la crise à son tour. A quoi est-ce dû ?

Tout d'abord à une bonne nouvelle pour tous les producteurs de grains : la récolte 2015 a été bonne en quantité et en qualité, et ce sur l'ensemble des bassins céréaliers mondiaux. Le revers de la médaille, c'est que cet afflux de production a déséquilibré un marché dont la demande n'a pas suivi.

Résultat : les cours sont en berne...

Cela fait maintenant trois ans que les cours des céréales sont orientés à la baisse. Cela se ressent dans les revenus des producteurs de grandes cultures. Nous alertons les pouvoirs publics mais les a priori ont la vie dure et nous ne sommes guère entendus. Une large part de notre production est exportée. Nous sommes donc tributaires des cours internationaux et la concurrence fait rage.

Comment s'annonce la campagne 2016 ?

Très mal ! La récolte des orges est partie sur de très mauvaises bases : les rendements sont mauvais, autour de 50 quintaux/ha dans bien des cas. Les poids spécifiques sont aussi très bas. Résultat, la recette en orge ne couvrira pas les coûts de production.

Et en blé ?

Nous commençons la moisson avec beaucoup de retard. Nous avons subi des aléas climatiques qui ont provoqué des attaques de maladies. Nous craignons, là aussi, une petite récolte et une qualité moyenne. Résultat : avec des rendements en baisse et des cours 15% inférieurs à 2015, nous sommes très pessimistes. Les premières estimations tablent sur une baisse de chiffre d'affaires qui pourrait atteindre 450 à 700 EUR/ha !

Ce n'est donc pas avec les céréales que les éleveurs vont pouvoir se refaire une santé économique...

Malheureusement, non. Déjà les cours de l'an passé ne permettaient pas de gagner sa vie, tout juste de couvrir ses coûts, cette année, nous serons tous dans le rouge. Et malgré cela on continue à vouloir nous empêcher de travailler : on nous veut nous imposer des règles supplémentaires quant à l'utilisation des produits phytosanitaires, on veut interdire les traitements de semence que l'on sait par ailleurs indispensables...Et je ne parle de pas de la PAC dont on ne sait quand le solde des aides 2015 sera versé. Non seulement la conjoncture est mauvaise mais les pouvoirs publics ne sont même pas en mesure de régler ce qui devrait l'être au plan administratif !

Viande bovine : l'inexorable baisse des prix aux producteurs

Le commentaire de Dominique Bayer, président de la section viande bovine de la FDSEA de l'Orne.

En viande bovine, 2016 suit le même chemin que 2015...

Le même chemin en pire. Regardez ces courbes, elles sont évocatrices. Les cours baissent irrémédiablement, comme si la viande perdait de sa valeur chaque semaine. Seule la réforme laitière résiste sur le début de l'année 2016. Il faut dire qu'à 2,50 EUR/kg, elle correspond à la hausse de la demande en viande hachée. Mais, même pour cette catégorie, la tendance est à la baisse.

Les Français ne mangent plus de viande ?

La consommation suit une tendance baissière. Surtout, la consommation délaisse progressivement la viande fraîche au profit de la viande hachée, notamment sous forme surgelée. C'est la tendance de la consommation hors foyer, le développement de la restauration rapide qui est illustré par ces chiffres. C'est paradoxal pour un pays comme la France, un pays de gastronomie, un pays où les terroirs sont réputés, où les races bovines sont presqu'aussi nombreuses que les fromages, mais c'est une réalité et un défi pour la filière viande bovine française.

Vous avez dit « pour la filière française ». Est-ce à dire que cela concerne aussi les autres maillons de la filière, pas seulement les producteurs ?

Cela concerne bien sûr les producteurs au premier chef. Les éleveurs que nous sommes subissons ces évolutions et donc la mévente de nos animaux de race à viande. Mais c'est un danger aussi pour les autres maillons parce que si les éleveurs abandonnent la production, où les abattoirs se fourniront-ils ? À l'étranger ? C'est oublier que les races à viande française sont produits essentiellement en France et que la demande des consommateurs en viande française est aussi une réalité. Ce n'est pas parce qu'un segment de la consommation se développe que les autres n'existent plus. Mais ils sont indissociables. Toute la filière a donc intérêt à pérenniser l'élevage allaitant, la viande à partir de races allaitantes.

Vous le dites parce que vous ne ressentez pas cet intérêt ?

Quand on voit le niveau des cours et leur évolution, tout ce que l'on sent, c'est une pression à la baisse des prix, y compris des catégories dites plus qualitatives.

Que peut-on y faire ?

Avec la Fédération Nationale Bovine, nous avons lancé l'opération « coeur de gamme ». Il s'agit de convaincre les enseignes de la distribution de mettre en avant la viande de race allaitante et de la valoriser y compris en retournant au producteur une partie du surcoût d'achat. Certaines se sont engagées au niveau national, comme Système U. D'autre réfléchissent et devraient suivre. A nous de faire la pression nécessaire auprès des magasins de proximité pour que d'autres enseignes s'engagent rapidement.

Vous pensez que les Français sont prêts à payer plus cher pour assurer la pérennité de l'élevage bovin ?

Oui parce que nos compatriotes sont attachés à leurs terroirs. Ils sont attachés à l'élevage. Ils savent l'apport de l'élevage à l'entretien du territoire et à la qualité des paysages. J'ajoute que, qui dit élevage bovin dit herbe. Or, on a bien entendu le message de la COP 21 : la prairie fait partie des moyens de limiter production de gaz à effet de serre. Et il ne peut pas y avoir de prairie sans élevage. On voit bien que l'élevage est indispensable et, même si ce n'est pas très clair dans les esprits, c'est un enjeu auquel nos compatriotes sont attentifs.


Lait : une régulation du marché à long terme ?

Le commentaire de Jean Turmel, président de la section lait de la FRSEA de Basse-Normandie.

Espérée depuis trente ans, la fin des quotas est-elle accueillie avec joie par les producteurs de lait ?

Il y a déjà bien longtemps que la fin des quotas n'était plus espérée mais redoutée par la majorité des producteurs de lait. Nous avions d'ailleurs manifesté dès 2003 contre ce projet européen. Les quotas ont été un changement très important que les producteurs ont mis quelques années à intégrer. Mais il y a bien longtemps que nous avions compris tous les avantages qu'il y avait à maîtriser la production.

Ce n'est donc pas l'euphorie...

Hélas non. Parce que nos voisins européens (irlandais, néerlandais, danois, allemands...) ont vécu cette échéance comme une opportunité, au contraire de nous. Je précise que la volatilité des cours du lait ne date pas du 1er avril 2015. Mais nous sommes depuis un an et demi dans une phase de crise avec une surproduction initiée par les pays que je viens de citer tandis que la demande stagne avec la baisse des achats chinois et l'embargo russe.

La catastrophe sur le prix du lait est donc générale...

Oui, elle est générale mais avec des variantes. Regardez les courbes cicontre : elles montrent que certaines entreprises ont arrêté de baisser le prix payé aux producteurs sur 2016 quand d'autres poursuivent la baisse, voire l'accentuent. Bien sûr, on sait que le prix dépend du mix-produit de l'entreprise, c'est-à-dire la part de ses ventes en produits industriels, en fromages, en produits frais, à l'export... mais tout de même. Plus que les écarts, c'est la tendance constatée entre les entreprises que l'on ne comprend pas. Que je sache, Lactalis n'est pas un petit fabricant de fromages et de produits de grande consommation...

On ne peut pas reprocher à une entreprise privée de gérer ses coûts...

Non bien sûr. Mais ces mêmes entreprises dénoncent quant à elle les méthodes de la distribution. Et que constate-t-on ? Qu'elles appliquent les mêmes méthodes vis-à-vis de leurs producteurs à savoir : « tu prends ce que je te donne ». Ce n'est pas du tout ce qu'on attend de l'organisation de la filière. Des organisations de producteurs existent. Elles doivent pouvoir négocier, c'est-à-dire faire valoir des arguments qui rééquilibrent le prix en faveur du producteur. On constate qu'elles n'en n'ont pas les moyens. Espérons que la loi Sapin, pour laquelle nous avons mené avec la FNPL un vrai travail de persuasion des parlementaires, sera votée de manière satisfaisante en septembre pour que les producteurs puissent, enfin, ne plus être considérés comme la variable d'ajustement de la filière.

L'Union européenne a annoncé un plan de 500 millions d'euros. Qu'en pensez-vous ?

C'est une bonne nouvelle mais c'est nettement insuffisant. C'est une bonne nouvelle parce que la commission européenne admet enfin que le marché du lait ne fonctionne pas de manière satisfaisante et que la production a besoin d'être régulée. Mais c'est très insuffisant puisque cela représente 4 EUR/tonne de lait. Si ce volet européen doit être travaillé pour que les producteurs de lait en bénéficient de manière optimale, nous devons aller chercher de la valeur autrement.

Comment ?

Par exemple à l'aide de la charte de valeurs que nous avons rédigé avec la FNPL. Il s'agit de faire reconnaître aux différents maillons de la filière que la course au prix le plus bas est destructrice de valeur alors que le lait et les produits laitiers français, de par leur qualité et leur réputation, ont une valeur intrinsèque. Nos efforts ont commencé à payer. Mais nous devons les poursuivre car cette démarche novatrice doit être expliquée pour être comprise et parce que les démons de la concurrence à outrance ne sont jamais loin.

Porc : l'hirondelle du MPB fera-telle le printemps ?

Le commentaire de Xavier Van de Bossche, président de la section porc de la FNSEA 76.

Quelle est la situation en production porcine ?

Le prix du porc a connu une remontée assez spectaculaire en mai et juin. Les fondamentaux du marché européen n'ont pas changé mais le retour de la Chine aux achats a stimulé la demande et provoqué cette hausse.

Tout va donc pour le mieux ?

Pas si vite ! D'abord, il faut bien observer la courbe pour voir que nous sortons d'un hiver catastrophique et, si nous nous trouvons à un prix légèrement supérieur à celui de l'an passé, les quatre premiers mois de 2016 ont été nettement en-dessous du prix de 2015. Le prix moyen de ces six premiers mois n'est que d'1,20 EUR /kg. Et si la période estivale est traditionnellement favorable, il ne faudrait pas que les éleveurs ne gagnent leur vie que quatre mois par an. De plus, nous avons subi une année 2015 très difficile qui arrivait après plusieurs années de cours insuffisants.

Que s'est-il passé en 2015 ?

Nous avons subit les conséquences de l'embargo russe, couplé à un afflux de production en provenance d'Allemagne et d'Espagne. Nos efforts syndicaux, appuyés par le gouvernement ont permis de garder le prix proche de 1,40 EUR /kg à l'été 2015 mais le marché de Plérin a dû faire face au décrochage des principaux abatteurs, la Cooperl et Bigard, puis à leur retrait du marché. La conséquence a été un plongeon du cours du porc qui est resté tout l'automne et l'hiver dernier en-dessous de 1,10 EUR /kg.

Tout ne va donc pas comme on pourrait le souhaiter ?

Non. Et ce d'autant plus que le principal abatteur français, la Cooperl, a annoncé son intention de payer les porcs en-dessous du prix du cadran. C'est incompréhensible quand on se souvient que l'été dernier, cette même entreprise appelait à respecter la loi du marché et à appliquer le prix du cadran.

Cela fait une grosse perte pour les adhérents de la Cooperl ?

C'est une perte qu'aucun éleveur ne peut se permettre et, surtout, une grosse perte de confiance des adhérents dans leur coopérative. D'autre part, le message envoyé aux autres opérateurs est négatif. Comment voulez-vous que la distribution ne réclame pas la modération des prix quand les abattoirs eux-mêmes paient en-dessous du cours du marché ? D'ailleurs, depuis l'annonce de la Cooperl, on voit bien que la hausse du cadran est stoppée.

La crise à peine finie, on tombe déjà dans une autre ?

Nous ne sommes pas sortis de la crise ! Il faudrait plusieurs mois de cours supérieurs aux coûts de production pour le dire et la plus grande incertitude règne dans la filière. Une filière dont on voit bien qu'elle ne parvient pas à travailler en collaboration. On en a fait l'amère expérience avec la tentative de mettre en place un fonds d'aide aux producteurs en mars dernier. Ce fonds a explosé du fait des abatteurs avant-même d'avoir été mis en oeuvre et on ne comprend toujours pas pourquoi le pied de facture est possible pour financer l'équarrissage mais pas pour aider les éleveurs. C'est cela le plus dangereux : le niveau des prix actuels est un trompe-l'oeil qui risque de reléguer les démarches structurantes au second plan et on s'apercevra dans quelques temps que les réformes nécessaires n'ont pas été faites.

L'identification de l'origine de la viande a plutôt bien marché...

Oui. Avec la FNP, nous avons engagé un long travail sur ce thème, malgré des oppositions farouches. Il porte ses fruits. Les consommateurs veulent de la viande française identifiée. 60% de la viande en magasin porte la mention de l'origine, nous avons gagné 9 points entre 2014 et 2015. Nous devons poursuivre nos efforts dans ce sens pour fidéliser nos clients sur le marché français.


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