Blocages suspendus, mais les actions et la vigilance perdurent
Lors du médiatique blocage de Caen, Jean-Yves Heurtin était en première ligne.Le président de la FDSEA14 reprend son quotidien d’éleveur et céréalier. Néanmoins, la mobilisation reste d’actualité.Explications.

La décision de lever les barrages a-t-elle été difficile à prendre ?
C’est toujours compliqué. On la prend dans un moment de tension avec une annonce, dont nous n’avons pas les détails. Obligatoirement, ce n’est pas simple. Il faut peser le pour et le contre. Il faut aussi penser à la stratégie future et savoir sortir au moment opportun d’un blocage.
Devant les caméras de télévisions nationales, vous avez parlé de suspension. Ce mot était-il important ?
Complètement. Nos sommes bien dans cet esprit. Des annonces ont été faites. On ne pourra parler d’arrêt que lorsque nous ressentirons un effet positif. Quand les exploitants agricoles considéreront que la rémunération est correcte, on pourra éventuellement parler d’un arrêt.
Donc le monde agricole n’est pas satisfait des annonces de leur ministre ?
Le monde agricole est surtout vigilant. Le ministre a rassemblé les acteurs des filière lait et viande. Sa volonté de tirer le prix des produits vers le haut est une bonne démarche. Mais, il faut aller plus loin et voir du concret. À ce moment-là, les agriculteurs seront moins méfiants.
L’accompagnement financier de l’État semble déjà concret...
Les chiffres doivent être relativisés. Sur les 600 millions d’euros annoncés, 50 millions sont des prises en charge réelles. Sur le nombre d’agriculteurs concernés, cela reste modeste. Les 550 autres millions ne sont que des garanties par rapport à des encours financiers. Il ne s’agit pas d’argent sonnant et trébuchant.
Sur les 24 mesures annoncées, certaines sont-elles plus encourageantes pour les éleveurs ?
Le ministre s’est engagé à travailler sur l’exportation. Faciliter le travail des industriels pour conquérir d’autres marchés est intéressant. Il y a une volonté interministérielle, ça me plaît. Cependant, nous jugerons les actes concrets et nous en tirerons les conclusions.
Quid de la transition énergétique voulue par le ministère de l’Agriculture à travers les unités de méthanisation ?
C’est bien gentil ! Quand un agriculteur n’a pas d’argent pour faire tourner son élevage, il ne va pas investir dans un méthaniseur.
Le monde agricole doit-il accélérer la contractualisation ?
Le ministre invite à travailler sur la contractualisation. Encore faut-il que l’État veille au respect des contrats.
Concernant la filière laitière, 340 € : bien ou pas ?
Beaucoup diront, cette somme n’est pas suffisante. Cependant, si ce montant s’applique réellement, c’est nettement mieux que les prévisions de la fin 2015. Je comprends que cette somme ne soit pas suffisante dans les fermes. Néanmoins, il fallait engager une démarche. Comme dans la filière viande, nous avons fait un premier pas. Nous attendons la concrétisation. Nous devrons veiller que les industriels ne trouvent pas d’échappatoire. Je ne veux pas d’un 340 € partiel. Notre volonté, c’est déjà 340 € minimum en prix de base. C’est bien un minimum. On peut avoir des discussions utopiques et dire 400 €. Je crois que la discussion ne s’engagerait même pas. Il y a le poids du marché international. Regardons aussi la réaction de nos voisins allemands qui jugent nos démarches illégales. Quelles seront les représailles ? Nous ne pouvons pas faire abstraction du monde qui nous entoure. 340 € est une orientation minimum. À nous de rester mobilisés. Le Calvados a poursuivi et poursuit la mobilisation.
Après le blocage de Caen, vous privilégiez les opérations coup de poing ?
Avec les blocages, nous souhaitions que le ministre se réveille et fasse son travail. Nous pouvons dire que c’est une réussite. Les actions ponctuelles permettent de rappeler à chaque entreprise que les intentions doivent se concrétiser. Car la situation actuelle n’est pas tenable. Je souhaitais que les accords du 17 juin soient respectés puis
transposés au lait. C’était notre demande. Le ministre travaille en ce sens. Si en août, nous ne constatons pas les effets nécessaires, je souhaite que les agriculteurs soient de nouveau prêts à se mobiliser.
Avez-vous déjà prévu de remobiliser les agriculteurs pour une action de grande envergure ?
Je ne sais si c’est nous qui appelons à la mobilisation ou si les agriculteurs se mobilisent spontanément. Cependant, le succès est réel quand l’action est partagée. Si courant août, on se retrouve aussi nombreux, nous serons très vite pris au sérieux. Nous tentons de structurer les actions pour peser efficacement et rapidement. Avec 400 tracteurs à Caen et 250 à Lisieux, la crédibilité est instantané.
Avez-vous déjà un plan pour le mois d’août ?
Non, rien de très établi. Nous observons les démarches des entreprises. Je ne décide pas comment ça se passera. Les moyens que donnent les agriculteurs permettent au réseau FDSEA/JA d’agir.
Les responsables agricoles locaux et nationaux sont-ils sur la même longueur d’onde ?
Les responsables nationaux prennent en compte l’ensemble des départements. Les problèmes n’y sont pas identiques. Le grand ouest est largement pénalisé par la nouvelle PAC. Ce phénomène amplifie l’impact de la conjoncture. Obligatoirement, l’approche sera différente du sud-ouest. La stratégie peut être parfois différente, mais cela ne signifie pas qu’on se fâche. Par exemple, le Calvados est multiproductions. Nous voulions donc que le ministre revoie les critères de spécialisation lors de la distribution des aides. Le sud pense au prix du lait, mais veille aussi à une collecte équitable de tous les producteurs.