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« Bonjour, c’est Mathieu, le marchand de bestiaux. Je peux passer dans cinq minutes ? »

Mathieu Dagron, marchand de bestiaux, sillonne l’Orne de ferme en ferme. L’homme de 33 ans approche, estime et achète des bovins viande, lait, ou des veaux, aux éleveurs. Il passe quinze minutes à une heure sur place, il écoute, discute, conseille et joue même le rôle de banquier. Le transporteur ramasse les animaux la semaine suivante. Direction : le centre d’allotement des Établissements Dagron, à Alençon. Puis les bêtes sont dispatchées dans les abattoirs de la région, chez des éleveurs ou à l’étranger.

© JP

llll Marchand de bestiaux, ou « trader de vaches » comme sa femme aime dire. Voilà le métier de Mathieu Dagron. Ses journées démarrent aux alentours de 7 h. Le semainier, posé au-dessus du tableau de bord de la voiture, indique le programme jusqu’au soir. Le marchand essaie de se rendre chez 12 à 15 éleveurs par jour. Il s’organise en demi-journées, afin que ses clients s’attendent à le voir se garer dans la cour de la ferme d’une semaine sur l’autre. « Je retourne au moins une fois par mois chez chaque éleveur. »
Ce jeudi, la liste est longue. « Aujourd’hui, nous tournons dans le secteur d’Alençon, L’Aigle, Le Merlerault, Moulins-la-Marche et Courtomer, précise le conducteur. Je regarde qui sont les éleveurs à voir en priorité afin de déterminer dans quel sens partir. »

O=3
Premier arrêt, à 8 h 10. « Je viens voir trois vaches de réforme. L’éleveur souhaite qu’elles partent car elles ne sont pas pleines. » Il est encore l’heure de la traite, Mathieu repère les animaux. Il lui suffit d’une dizaine de secondes pour estimer la conformation d’une bête. L’acheteur sort de sa poche gauche un bloc-notes petits carreaux. « Je regarde la viande sur la cuisse, le dos, l’épaule, et la quantité de gras. » Il inscrit le numéro de la boucle, une lettre, un sigle, un chiffre. Exemple : O=3 (*). Puis, il tire de sa poche droite le carnet de bons d’achat, remplit un bon et le donne à l’éleveur. Départ de la ferme à 8 h 25. « Je lui achète ses trois laitières. J’ai annoncé un prix minimum de 3 €. Mais si peux monter à 3,10 €, je le ferai. » Il opère le même rituel, carnets en poche, net et rapide, dans chaque ferme.
Si Mathieu est aussi rapide à juger une bête, c’est parce qu’il baigne dedans depuis tout petit. « Le principal pour exercer ce métier est de connaître l’animal. Il n’y a pas de méthode de vente ni d’achat. Mais il faut de bons yeux. » Mathieu a suivi des cours dans une école spécialisée acheteur estimateur de bétail. Puis il a travaillé pendant deux ans avant d’intégrer, il y a dix ans, l’entreprise familiale.

Cinq clients principaux
Deuxième arrêt, de 9 h à 9 h10. « Il y a un mois, aucune bête n’était prête à partir. Je lui ai conseillé de les garder encore un peu. Là, j’en prends trois, des Normandes O- (environ 300 kg) de réforme pour Charal. Nous travaillons en confiance : je ne parle même pas de prix. » Les animaux sont évalués une deuxième fois lorsqu’ils arrivent au centre d’allotement. Puis une troisième fois par les abattoirs. L’entreprise compte cinq clients pour la viande : Charal, Socopa, EVA, SVA et Elivia. Le marché espagnol fait également partie des débouchés de l’entreprise.
Le troisième arrêt dure une heure. Mathieu achète treize taurillons et deux vaches, que des Blonds d’Aquitaine. Il passe vingt minutes dans la stabulation, puis quarante à discuter, préparer les passeports pour le transporteur. « Je vérifie que les passeports correspondent bien aux animaux que j’ai évalués. » Les sujets de conversation autour du café ? La météo, les dégâts de sanglier, le bio, les abattoirs. Et il repart.

Vous ou tu ?
Un coup de fil au quatrième fournisseur : « bonjour, c’est Mathieu. Je peux passer chez toi dans cinq minutes ? » Si son père travaille avec le vouvoiement, le fils préfère tutoyer et appeler ses clients par leur prénom. « Je trouve que cela permet plus de proximité, mais je ne le fais pas avec tout le monde. » L’arrêt dure quinze minutes, l’éleveur négocie. Il en veut 1 000 €, Mathieu en propose 900. Ce sera 950. « Chez certains, je sais d’avance qu’ils vont négocier, cela fait partie du rituel. »
Le cinquième éleveur est déçu des prix annoncés, il demande un peu plus mais ne tente pas la négociation. Le moral est en berne, la crise a laissé des traces, les agriculteurs sont isolés. « Je joue un rôle social auprès des éleveurs, car ils savent que je passe les voir. » Et même, parfois, le rôle de la banque. « S’il manque cinq vaches laitières à un éleveur, on lui apporte et il nous paie quand il peut. Nous avons négocié de grosses ouvertures de crédits avec les banques, nous sommes obligés de fonctionner comme ça. »

Attendre que le prix remonte
Le sixième éleveur vend un broutard et trois vaches à viande. « La grosse période des bêtes à viande tombe entre octobre et décembre. Elle correspond à la rentrée des animaux dans les bâtiments et aux vêlages. Les éleveurs trient leurs troupeaux. » Il est 12 h 45, l’heure d’une pause déjeuner. Mais avant de partir, Mathieu anticipe le passage du transporteur et demande à l’éleveur, sur le pas de la porte : « tu penses aux barrières qui sont pourries pour le chargement la semaine prochaine ? »
Arrêt numéro 7, de 14 h à 14 h 20 : Hugo, le chien, et sa maîtresse de 70 ans accueillent Mathieu. Le marchand achète six bovins, des Charolais. La dame élève, seule, 50 bêtes. Du huitième arrêt, Mathieu repart bredouille. Les éleveurs préfèrent passer Noël, en espérant que les prix remontent.

Conférence téléphonique
Il est 15 h, l’heure de la conférence téléphonique avec Jean-Charles, son collègue, et l’abattoir Charal, « notre plus gros acheteur ». Quelques kilomètres sont nécessaires pour trouver du réseau. « L’objectif est de s’entendre sur les prix de la semaine suivante. » L’échange dure à peine dix minutes. Les acheteurs tentent de négocier plus 2 centimes pour les U=, et plus 1 centime pour les U-. « Si tu nous mets de la hausse, nous répondons en volume », propose Mathieu. Charal ne cède pas, ce sera « plus 1 pour les U= ». Et Mathieu reprend la route.
Le neuvième éleveur de la journée vend deux génisses et deux broutards. « Les deux génisses sont dociles. Cela joue sur les prix car les éleveurs qui les rachètent ne veulent pas d’animaux sauvages. » L’après-midi avance, Mathieu regarde son semainier en se disant qu’il n’aura pas le temps de voir tout le monde. Il commence à reporter certains fournisseurs au jeudi suivant. Il arrive tout de même à en visiter quatre de plus. Un treizième arrêt ? L’éleveur est en train de traire, il est 18 h 20. « J’essaierai de commencer par lui la semaine prochaine. »

* les bovins sont classés par des lettres, selon leur conformation, allant d’excellent à vache maigre : E, U, R, O, P. Chaque lettre est assortie d’un signe +, -  ou =, représentant un tiers de classe. Le marchand donne une note de gras, de 1 à 5 : 3 est optimum, 1 est maigre, 5 trop gras. L’âge, le sexe et la race sont aussi pris en compte. Le tout aboutit à un prix en €/kg de carcasse.

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