Céréales
“Chaque prélèvement sur les aides Pac fragilise un peu plus notre filière”
Régis Chopin, le responsable de la section céréales de la FDSEA de l’Eure revient sur la situation de cette filière. Avec quelques certitudes mais aussi de vraies interrogations.

Avec une récolte mondiale de blé quasiment historique en volume, (le blé n’a pas résisté à la pression) les cours ont chuté. Que vous inspire ce nouvel épisode ?
Beaucoup d’observateurs des fondamentaux pensaient, il y a quelques mois, qu’il faudrait plusieurs récoltes pour remonter les stocks mondiaux à leur niveau de 2000-2001. Personne n’imaginait que les cours des céréales pouvaient baisser aussi vite qu’ils s’étaient enflammés pendant l’été 2007. De plus, tous pensaient que les prix resteraient élevés : commissaires, économistes, opérateurs, politiques, responsables agricoles... Tous, sans exception, pensaient qu’enfin les marchés rémunèreraient durablement la production sans soutien. Il aura fallu une seule moisson pour calmer l’enthousiasme effreiné de certains. Et pas n’importe quelle moisson : 675 Mt de blé tendre contre 609 Mt en 2007, un record mondial et historique !
Une fois encore, les éléments surprennent et prouvent que rien n’est figé et que tout peut arriver. Qui aurait parié aujourd’hui avoir du blé à 130€/T ?
Cette approche bien peu favorable aux céréales se confronte aussi à la crise financière. Paradoxalement, la baisse de l’euro vis à vis des autres monnaies (et en particulier du dollar) n’est-elle pas un élément positif ?
La correction de la parité €/$ en dessous du niveau 1,40 nous permet d’envisager l’exportation sur pays tiers plus sereinement. D’autant plus qu’avec le renchérissement du dollar et la baisse de l’euro, les coûts du fret maritime s’en trouvent abaissés.
Mais nos concurrents Mer Noire (Ukraine, Russie), avec un solde exportable supérieur à 28 Mt, placent la barre très bas compte tenu du manque de capacités de stockage et d’allotements. Leur stratégie consiste à se positionner à 20 ou 30€/T en dessous du blé Fob Rouen. Cet écart, conforté par un fret moins important, leur donne l’avantage sur des destinations comme l’Egypte, la Tunisie, le Moyen Orient. L’origine française fait jeu égal sur le Maroc ou l’Algérie ; enfin, l’avantage reste à la France sur les destinations habituelles de l’Afrique de l’Ouest.
L’Egypte qui importe 7 à 8 Mt chaque année (où en 2006, nous avions exporté 1,5 Mt en origine française), est un marché qui nous échappe par un manque de concurrence sur les prix. Cette année, nous ne pouvons pas compter sur ce pays qui a déjà contractualisé 40 % de son approvisionnement annuel. Une part non négligeable des importations égyptiennes nous est pourtant indispensable pour équilibrer notre bilan céréalier. Tant que les opérateurs Mer Noire gèreront cet écart de 20 à 30€/T, quelque soit le niveau de prix de l’origine France, nous serons en difficulté. Du côté USA, le différentiel de qualité justifie plus le choix de l’offre américaine. Vous l’avez compris, le marché égyptien nous est indispensable.
Avant la crise financière mondiale, il y a la crise économique qui frappe l’hexagone et son lot de mauvaises surprises, notamment du côté des charges d’exploitation pour les agriculteurs. Comment appréhendez-vous cette autre difficulté ?
En effet, la hausses des intrants est inquiétante pour les producteurs. Rien que le coût de la fertilisation NPK représente plus de 400€/ha (contre 180€/ha il y a 2 ans), soit l’équivalent des aides européennes. La hausse des semences, des phytosanitaires n’est pas négligeable aussi. Enfin, la mécanisation, la main d’oeuvre et les services contribuent largement à l’augmentation des charges d’exploitation.
Aujourd’hui, notre “point mort” s’établit à 140€/T (hors aides Pac) pour un rendement de 7,8 T/ha de blé tendre. La moisson 2008 apporte, par son rendement supérieur, une marge de manoeuvre sur le prix (9T à 120€ est équivalent à 7,8 T à 140€). D’où l’importance de gérer à nouveau nos intrants et les charges de structure. Des investissements démesurés peuvent avoir des conséquences lourdes en trésorerie dans une conjoncture où l’étau “produits moins charges” se resserre rapidement.
La filière céréales doit aussi s’analyser dans le contexte général de l’agriculture. Les difficultés que traversent les autres filières (et notamment celles de l’élevage) avec l’abandon pur et simple de certaines productions ne risquent-elles pas d’accentuer la pression sur votre propre filière ?
La baisse de la surface betteravière sucrière ou encore celle des emblavements en lin par exemple, mais surtout la diminution de surfaces fourragères en exploitations de polyculture élevage, incitent à l’augmentation de la sole nationale de blé et d’orge.
Les rendements 2008 en orge et en blé font aussi pression sur les emblavements 2009. De même, la culture du blé sur blé apparaît là où elle ne se pratiquait pas. Ailleurs, en Ukraine et en Russie, les rendements records poussent aussi à l’augmentation des surfaces de blé. En 2008, 7 % d’emblavements en plus ont été réalisés sur la planète, soit 12 Mt d’hectares. Combien en 2009 ? Enfin, les prix des céréales ont été un encouragement à produire, que ce soit à l’Est, à l’Ouest ou en Chine... Tous ces chiffres peuvent impressionner mais une chose est certaine : la capacité à relever les stocks mondiaux sur un temps très court est bien réelle et les fondamentaux de la récolte 2009 restent très fragiles.
Orama a, il y a quelques jours, prôné un redéploiement “très prudent” des soutiens directs du premier pilier. Croyez-vous que cet appel à la prudence puisse encore être entendu ?
Au dernier conseil d’Orama, le président Philippe Pinta évoquait en effet la plus grande prudence dans les propositions des professionnels face à la Commissaire européenne. Aujourd’hui, ce n’est plus de la prudence qu’il faut prôner, c’est le refus ! Non à la modulation progressive supplémentaire, non à l’article 69. Il faut intervenir au plus vite auprès de nos parlementaires afin qu’ils mettent en garde le ministre de l’Agriculture. Il ne faut surtout pas proposer quelque chose d’insoutenable pour le plus grand nombre. Il ne s’agit pas de déshabiller les grandes productions végétales pour favoriser tel ou tel secteur de l’agriculture française : lait de montagne, ovin-caprin, agriculture biologique... En Europe, la production céréalière n’a que deux atouts (la productivité et la régularité de la production) et plusieurs inconvénients. Quand aux coûts de production, nous serons toujours les moins performants. C’est pour cela que la production céréalière devra toujours être soutenue par le 1er pilier. Chaque prélèvement sur les aides Pac fragilise un peu plus l’avenir de notre production céréalière et de notre agriculture.
Pour conclure, comment les céréaliculteurs doivent-ils aborder la prochaine campagne ?
La future campagne 2009/2010 doit faire l’objet d’une observation précise de chaque producteur. Des suremblavements auraient pour conséquence d’alourdir la campagne 2009/2010 au point de rejoindre les niveaux de prix non rémunérateurs.
La prudence reste donc de mise, tant au niveau des emblavements que des engagements. Les cotations 2009 sont encore à des niveaux corrects.
Ne faut-il par marquer quelques prix en matière de commercialisation ?
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dans l'édition papier de l'Eure agricole
du 16 octobre 2008
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