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Robotisation de la traite à Soulles (50)
Faire son apprentissage

Au GAEC Holstein de La Bretonnière, la salle de traite 2x5 a été stoppée le 18 février dernier pour mettre en route, le lendemain, un robot double stalle. Après 10 mois d’apprentissage, les 4 associés commencent à prendre leurs repères.

© TG

Il faut faire son apprentissage !” Dans leur QG (Quartier Général) “atelier lait”, Catherine et Jean-François Leviautre, leur fils Alexandre et Hervé Frémond, tous 4 associés au sein du GAEC Holstein de la Bretonnière, ont accepté de livrer leur expérience du passage à la robotisation. A n’en pas douter, le facteur limitant n’est ni la technologie ni l’animal mais bien l’homme. Une petite leçon d’humilité et quelques conseils et astuces pour éviter certains écueils qui peuvent empoisonner le quotidien.

De 480 000 à 1,1 million de litres
La restructuration laitière dans le Grand Ouest concerne les entreprises de collecte et de transformation mais aussi les producteurs. Le GAEC Holstein de La Bretonnière a pris les devants. Alexandre Leviautre, jeune agriculteur, a repris une exploitation et a rejoint ses parents, Catherine et Jean-François. Parallèlement, Hervé Frémond, un voisin, s’est associé au GAEC. 
Trois exploitation en une et un premier défi : redimensionner le site de production de Soulles. La salle de traite 2x5 et sa laiterie exigüe, dans laquelle ne pouvait pas entrer un tank plus grand, constituaient visiblement le maillon faible. Mais comment passer d’un outil à 480 000 litres à un outil à 1,1 million de litres ?
Du roto au robot
On a d’abord pensé roto. Mais le roto, c’est beaucoup de tubulaire, un parc d’attente et une laiterie à construire avec ses chantiers de maçonnerie. Il fallait quasiment tout refaire de A à Z. Du lourd et une facture de 380 000 e à minima. “Economiquement, ça ne passait pas”, reconnaît Jean-François. Alors, on leur a suggéré 2 robots d’occasion. C’est ainsi que l’idée a germé.
Les quatre associés ont alors mis en concurrence deux constructeurs. Convaincus que les technologies étaient comparables, ce sont d’autres facteurs qui ont fait pencher la balance vers le rouge: l’antériorité, l’écoute et le feeling avec le vendeur, la proximité du distributeur (....). “Avec de tels investissements, on n’a pas le droit de se tromper. La confiance s’est instaurée,” se souvient Catherine.  

240 000 e d’investissement
L’hypothèse “occasion” a été vite été abandonnée.
Jeune agriculteur, Alexandre pouvait faire valoir des droits FEADER (Europe, Etat, Région) à condition d’investir dans du neuf. Petite désillusion cependant. La subvention estimée au départ à 50 000 e s’est réduite à 36 000 e à l’arrivée. Certaines enveloppes se consommant plus vite que d’autres. Au final, l’investissement s’est élevé à 240 000 e.
Cette maîtrise dans la dépense s’explique par un fondamental de base auquel le GAEC n’a pas dérogé et a même imposé au fabricant : s’adapter à l’existant. C’est ainsi que le parc d’attente a été réaménagé en logettes. Que l’aire de béton (10 x 36 m) servant à dépoter le fourrage au moment de l’ensilage a été transformée, grâce à un rang de parpaings, en table d’alimentation. Que les anciens silos font aujourd’hui office d’aires d’exercice. Que l’on a pas touché à la fosse à lisier excepté l’aménagement d’une ouverture supplémentaire.
Le cœur de l’installation, c’est le bureau avec son informatique et ses larges vitres donnant sur les 2 stalles. Du nord au sud et de l’est à l’ouest, on y entre aisément. “On apprécie cette accessibilité”, souligne Catherine.

Du libre service au distribué
Deux concessions ont été faites à l’existant. Tout d’abord des tapis de logettes ont été posés sur une dalle betonnée avec 2% de pente  pour éviter les boiteries.
Ensuite, le système d’alimentation : du libre-service au distribué. Ce n’était pas l’idée de départ. Libre-service avec cornadis couvert sur le front d’attaque, logettes et DAC (Distributeur Automatique de Concentré), ça fonctionnait bien alors pourquoi changer? “Abattre le maïs 2 fois par jour pour 130 vaches, 55 ha de maïs à manipuler à la main, ça fait peur”, avoue Jean-François.
Autre aspect, avec le robot et dans cet élevage à concours, le niveau d’étable va grimper. Il faudra donc être de plus en plus pointu dans la ration en apportant par exemple plus de fibre pour éviter les acidoses. “En libre-service, on apporte difficilement la fibre, juge Hervé. Dans une dessileuse, on met ce que l’on veut”.

7 jours 24 heures sur 24
Après un an de réflexions et de réfections, la 2x5 a tu sa pompe à vide le 18 février 2013 au soir. Le 19 au matin, branle-bas de combat à La Bretonnière. Top départ pour un marathon laitier de plus de 160 heures non stop. “7 jours sur 7. 24 heures sur 24 selon les préconisations du constructeur”, rappelle Alexandre.
Le troupeau (les 90 vaches de départ de l’EARL Leviautre, celle d’Hervé Frémond ont été incorporées quelques semaines plus tard) a été scindé en deux lots à 4 heures du matin. Coup de sifflet à 6 heures. Il faut pousser, une à une, chaque vache dans la stalle afin de la paramétrer. Une opération qui consiste à renseigner le robot sur l’animal. Il faut aussi aider manuellement le bras dans son repérage des trayons. Pour cette première et pour ne pas ajouter du stress aux laitières, le brossage des pis a été désactivé. Il faudra 6 heures pour passer le premier lot. Autant pour le second. Pas de temps de battance entre les deux. “Il faut perturber le cycle des vaches, les fatiguer, casser le rythme matin/soir”, insiste Jean-François. A chaque passage supplémentaire, on gagne un peu de temps. On finira à 3 heures au lieu de 6. “Il ne faut pas laisser les vaches se coucher dans les logettes. Il faut leur imposer le passage par le robot”. Pour ce faire, tout un jeu de ficelles a été déployé. “Les génisses sont celles qui tapent le moins. Ce sont les vieilles tétues qui ont été les plus récalcitrantes”, s’amuse Alexandre.

Toutes les vaches
robot-compatibles
Le sixième jour, les deux lots ont été réunifiés. Les ficelles de guidage enlevées. Verdict : encore une vingtaine de vaches qu’il faudra accompagner dans la démarche près de 6 mois. Du temps et de la surveillance à y consacrer. Au final cependant, aucune vache ne sera réformée pour incompatibilité d’humeur avec le robot.
Si les hommes ont gagné la bataille psychologique sur les animaux, leurs organismes ont souffert au terme de ces 7 jours d’apprentissage. “Tout le monde était ereinté au bout d’une semaine malgré les matelas installés dans le bureau”, précisent les membres du GAEC. Leur conseil : se faire aider par les voisins et les copains. “Il faut être deux en permanence sans oublier, qu’en plus, il reste le travail quotidien”. Les périodes de grands travaux (semis ou récolte de maïs) sont donc à proscrire pour toute bascule de même que la saison de pâturage. Aller chercher chaque vache au champ est inconcevable.

Une appropriation de l’informatique perfectible
La robotisation ne serait rien sans l’informatique et de la bonne maîtrise du logiciel dépend la réussite de la mutation.
Sur ce point, le GAEC de La Bretonnière estime que la prise en mains est perfectible. “Une journée de formation avec d’autres éleveurs, rapporte Alexandre. Il faudrait quelque chose de plus approfondi” évoquant même une forme de mini stage chez un autre éleveur déjà équipé.
Certes, les techniciens du fabricant maîtrisent parfaitement l’outil et sont à l’écoute. A l’écoute mais pas toujours physiquement présents quand un problème se pose. “On nous a conseillé d’écrire nos questions. C’est ce que nous avons fait. Plusieurs pages mais quand on s’y est penché avec les spécialistes pour avoir les réponses, ça fait énormément d’informations à assimiler en même temps. C’est d’autant plus délicat que nous sommes en état de fatigue physique, cérébrale, parfois en état de stress”.
Des efforts à faire donc du côté des fabricants même si on ne solutionnera pas tout, tout de suite, pour se sentir plus rapidement à l’aise avec la souris. “Ça fait 7 mois que l’on pratique le logiciel mais on n’en connait peut-être que la moitié ”, estime Jean-François.

De multiples réglages au démarrage
Chaque vache étant un cas particulier, il y a énormément de réglages à effectuer durant la première phase. Des trayons brûlés à cause d’une allergie aux produits désinfectants ou de trempage, c’est le brossage qu’il faut adapter par exemple. Il y a parallèlement les bons réflexes à acquérir. Le robot, c’est une foultitude d’informations recueillies. Encore faut-il savoir les interpréter et réagir à bon escient. “Il faut être un animalier”, insistent de concert Catherine, Jean-François, Alexandre et Hervé. 
Le matin à Soulles, quand on relève les compteurs, on commence par regarder le curseur “conductivité”. “Le robot détecte un problème de cellules 24 à 36 h avant toute possibilité de dépistage visuel. Dès qu’il y a suspicion, il faut alors contrôler les quartiers de la vache incriminée via un leucocytest. Avec de la rigueur, on détecte aujourd’hui des mammites que l’on ne voyait pas avant”.
Second élément particulièrement suivi : les vaches en retard de traite. Là aussi, il faut bien connaître son troupeau. Ne pas s’inquiéter de retards chroniques chez certaines. Il s’agit de vaches sans doute encore retors au robot. A contrario, un retard inhabituel doit être suivi d’un tour de vache. “Il peut s’agir d’une boiterie, d’un coup de froid (...)”. 

Plus de lait et encore du TP
Sans la chiffrer avec précision, nos éleveurs pronostiquent une augmentation significative du niveau d’étable.
La dernière moyenne contrôle laitier s’est établie à 29 kg “mais on a beaucoup de vaches à 40 kg et celles à 50 kg ne sont pas rares non plus”. Des vaches à haut niveau qui vont se faire traire 4 fois par jour pendant que celles en fin de lactation sont à 1,7. La moyenne, quant à elle, s’établit à 2,9 traites par jour. Autre remarque, “avec le robot, les vaches montent plus vite en lait mais elles redescendent plus vite aussi”, a observé Alexandre. A moyen terme, le niveau d’étable devrait continuer à croitre mais sera conditionné en grande partie à la ration. Et plus de lait signifie-t-il moins de TP (Taux Protéique) ? “Nous n’avons pas trop perdu, on doit être à 32”, précise Jean-François.
Imparable cependant à la mise en route du robot : le niveau de cellules. “Ça a quasiment doublé”. Normal pour des vaches qui ont refusé de donner leur lait à la première traite et dont les trayons n’ont pas été lavés. Mais de rassurer : “après, ça redescend !” Prudence quand même. Basculer à un moment où le niveau de cellules n’est pas suffisamment maîtrisé peut s’avérer très compliqué, voire dangereux.
Et pas question, en cas de traitement, d’intervenir sur l’animal dans la stalle. Il risquerait d’associer l’endroit à quelque chose de négatif. “Le robot n’est pas un outil de contention, c’est un outil de traite”, insiste Jean-François reconnaissant qu’il manque à son atelier une vraie cage.

Trancher le qui fait quoi
Si la robotisation de la traite a modifié les habitudes des vaches, elle a aussi bouleversé l’organisation de travail des associés. “Nous n’avions plus de repères !”, avouent-ils et il a fallu résoudre la problématique du “qui fait quoi ?”
“On s’est cherché un peu. Chacun doit arriver à trouver sa place”.  Neuf mois après, les tâches sont réparties. Vers 7 heures du matin, alors qu’Alexandre fait chauffer le lait de triage et abreuve les veaux, Catherine lave les stalles au nettoyeur haute pression. Hervé remplit la dessileuse et Jean-François passe le rabot dans les aires extérieures. Le dessilage attire les vaches vers la table d’alimentation, ce qui libère partiellement les logettes permettant à Jean-François de les nettoyer. Il faut cependant toujours surfer entre les animaux : 110 vaches mais simplement 58 places à l’auge. Pas forcément pratique mais forcément économique. Tout est terminé vers 9 heures. 

Gain de souplesse, pas de temps
“Par rapport à avant, on ne gagne pas de temps. On gagne en souplesse c’est tout”. Le robot n’est donc pas la réponse à une surcharge de travail. Il permet simplement une relative indépendance vis-à-vis de contraintes horaires. “Ça nous libère les après-midi. Quand je suis aux champs, je ne suis pas obligé de rentrer pour les soins du soir”, apprécie Alexandre. “On se soulage aussi physiquement de la traite”, enchaîne Catherine. Un peu de bien-être apprécié à sa juste valeur.
Mais en pénibilité, on ne gagne pas sur tous les plans, plus particulièrement du côté des alarmes “qui se déclenche plus souvent la nuit”, estime Jean-François. Il est vrai qu’il arrive en tête dans la hiérarchie des numéros de téléphone d’alerte. Mais là encore, il faut faire son apprentissage. Une vache en retard, une eau trop froide, une faiblesse de pression (...), “ça sonnait pour n’importe quelle connerie”, se souvient Jean-François. Depuis, le paramétrage a été affiné, “ça n’a pas encore sonné ce mois-ci”.

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