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Prix du lait
Fin de la recommandation nationale

Une interview de Thierry Roquefeuil, Secrétaire Général de la FNPL (Fédération Nationale des Producteurs de Lait).

Il y a 90 000 élevages laitiers en France, et probablement 90 000 prix différents. La recommandation nationale n’est qu’une information, chaque région a ensuite un prix de base différent, le prix final de chaque entreprise est différent, et les caractéristiques du lait de chaque producteur sont différentes.
Il y a 90 000 élevages laitiers en France, et probablement 90 000 prix différents. La recommandation nationale n’est qu’une information, chaque région a ensuite un prix de base différent, le prix final de chaque entreprise est différent, et les caractéristiques du lait de chaque producteur sont différentes.
© S. Leitenberger

Le CNIEL vient de recevoir une lettre de la DGCCRF* sur les recommandations d’évolution du prix du lait, le sommant de “mettre fin à ces pratiques”. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Tout d’abord de la consternation, puis de la colère. Elle fait l’effet d’une bombe qui cible l’objet même du syndicalisme : défendre notre revenu et l’équité nécessaire à notre société. Nous avions choisi, depuis de nombreuses années, la voie responsable et économique en recher- chant le compromis sur la base de facteurs objectifs de marchés. Alors que la puissance publique nous y a encouragés, elle nous dit aujourd’hui que c’est interdit. Il est pourtant impensable de laisser notre secteur voguer sans gouvernail, au risque de s’échouer au premier écueil. Mais il est tout aussi impensable de prendre cette sommation à la légère. Aussi, nous avons décidé, avec les deux autres familles de l’interprofession, de cesser dès maintenant toute recommandation nationale sur l’évolution du prix du lait.

Comment expliquez-vous cette soudaine réaction ?

Nous ne pouvons nous l’expli- quer, elle va à l’encontre de toute organisation d’un secteur qui a su, depuis longtemps, se prendre en main. Le dogme actuel est au désengagement total des Pouvoirs Publics dans la régulation des marchés, laissant et encourageant les professionnels à se débrouiller eux-mêmes. Sur ce plan, la filière laitière est exemplaire, non pas par idéologie, mais parce qu’elle ne peut exister et se développer qu’avec un véri-table lien dynamique entre producteurs et industriels. Le gouvernement français a d’ailleurs déposé un mémorandum à Bruxelles pour permettre le renforcement des interprofessions. Paradoxalement, c’est ce même gouvernement qui nous coupe l’herbe sous le pied. Aujourd’hui, force est de constater que le politique utilise le juridique pour une vision à très court terme. Je suis persuadé que notre système interprofessionnel n’est pas une machine à inflation, c’est justement l’inverse (rappelons-nous les années 2003-2006). Il n’entrave pas non plus la libre concurrence. Si c’était le cas, nos entreprises n’auraient pas ce for- midable développement, y compris à l’international. Et si c’était le cas, les consommateurs français paieraient leurs produits laitiers bien plus chers qu’ailleurs, ce qui n’est pas vrai non plus.

Quel rôle l’interprofession laitière joue t’elle sur le prix du lait ?
Son rôle est fondamental et histo- rique. Depuis des décennies, les interprofessions régionales déterminent un ensemble de facteurs liés au prix du lait. Rendez-vous compte que le CRIL de Haute-Normandie par exemple, a été créé en 1937, donc depuis plus de 70 ans, dans le but de négo- cier un accord sur le prix du lait !
Ce qu’il fait toujours aujourd’hui, ainsi que l’élaboration d’une grille de prix mensuels, tenant compte de la saisonnalité. Il fixe également les valeurs des grammes additionnels de matière grasse et matière protéique ainsi que les critères et les règles de paiement en fonction de la qualité du lait comme l’impose la loi Godefroy de 1969. Dans les années 1990, les négociations régionales sur l’évolution du prix du lait se sont avérées de plus en plus difficiles et les troubles de l’ordre public étaient croissants du fait de la réaction justifiée des éleveurs.
Chacun a bien compris que la négociation devait évoluer vers plus d’équilibre, d’analyse objective et acceptée par tous. D’où, en 1997, la mise en place d’un observatoire économique national, basé sur des indicateurs de marchés, sur lesquels la filière n’a d’ailleurs aucune prise, per- mettant des recommandations nationales sur l’évolution du prix du lait, transmises ensuite chaque trimestre aux régions. Rappelons que cet accord interprofessionnel a été signé sous la présidence, et dans le bureau, du Ministre de l’Agriculture de l’épo- que.

Cela veut-il dire que chaque producteur français est payé au même prix ?

Bien sûr que non. Et je mets au défi quiconque d’en faire la démonstration. Il y a 90 000 élevages laitiers en France, et probablement 90 000 prix différents. La recommandation nationale n’est qu’une information, chaque région a ensuite un prix de base différent, le prix final de chaque entreprise est différent, et les caractéristiques du lait de chaque producteur sont différentes. Nous effectuons des enquêtes sur le prix du lait chez nos adhérents et je puis vous dire qu’il y a des écarts notables. Mais nous avons toujours cherché à encadrer les choses pour défendre les intérêts des éleveurs et éviter les iniquités. C’est notre rôle de syndicaliste.

Les éleveurs sont-ils dans un rapport de force équilibré quant au prix du lait ?
Je le répète, il y a 90 000 exploitations laitières, réparties sur l’ensemble du territoire. Le lait pro- duit est une denrée non stockable. Il doit être collecté tous les 2 jours par des entreprises dont une dizaine représente les trois quart de la col-lecte nationale. Dans ces conditions, croyez-vous qu’un éleveur puisse individuellement avoir le choix de dire à son collecteur “je ne suis pas d’accord sur le prix, je ne te livre pas mon lait?” 
Si son exploitation est dans l’Orne, a-t-il le choix de se tourner vers une entreprise des Vosges ou du Sud-Ouest ? C’est pour cela que nous avons toujours cherché à rassembler et structurer les producteurs de lait. Si les manifestations de masse sont un moyen de pression, nous avons privilégié la concertation, le dialogue avec nos entreprises que nous considérons davantage comme des partenaires : pas de producteurs sans transformateurs et inversement.

La France est-elle une exception dans l’organisation de la filière ?

Dans tous les pays laitiers du monde, les Pouvoirs Publics et les professionnels ont bien compris que le secteur laitier a des spécificités. Certains, dont les plus libéraux, ont des systèmes très sophistiqués d’organisation, y compris concernant le prix du lait à la production. En Eu- rope également, le prix du lait ne sort pas d’un chapeau ou d’une négociation individuelle entre le producteur et son entreprise. Il y a quelque chose de très paradoxal quand, sous des prétextes de libre concurrence, on ligote l’interprofession française, tandis qu’on autorise le monopole aux coopératives du Nord de l’Europe.

Que comptez- vous faire maintenant ?
Je l’ai dit, la mise en demeure est claire, nous mettons fin aux recommandations. Mais notre rôle de syndicaliste responsable est de trouver
des solutions qui puissent éviter l’anarchie et les conséquences néfastes qu’elle pourrait entrainer.
La concurrence parfaite consisterait à ce que chacun des 90 000 producteurs négocie tous les 2 jours le prix de son produit avec son collecteur, voire avec plusieurs collecteurs. Chiche ! Plus sérieusement, nous pensons que nous ne pouvons pas rester dans le vide, et nous allons dès maintenant nous atteler à la recherche de solutions durables et inattaquables au sein de l’interprofession, mais aussi avec les Pouvoirs Publics qui sont à l’origine de cette situation. Je ne peux pas imaginer que le bon sens ne prévale pas.

*Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

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