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Enjeux
Grève du lait : onde de choc ou risque de flop ?

La rumeur enfle. La menace de grève du lait brandie depuis 8 mois par l’APLI (Association nationale des Producteurs de Lait Indépendants) et l’EMB (European Milk Board) pourrait devenir réalité lundi prochain. Pourquoi ? Comment ? Avec qui ? Et surtout avec quelles conséquences ? Tentative de décryptage.

Pourquoi ?
Cela fait 8 mois que l’APLI a lancé l’idée d’une grève du lait. Huit mois d’une montée en pression parfaitement orchestrée faisant appel notamment aux nouvelles technologies de la communication (internet et SMS). Les réunions d’informations ont réuni des milliers de producteurs (toutes étiquettes confondues) dans le désarroi. Les médias grand public ont affiché une connivence sympathique à ce mouvement. L’APLI est désormais au pied du mur. Il lui faut passer du discours à l’action.

Comment ?
“Les ministres européens de l’Agriculture se réunissent le 7 septembre, ce sera peut-être juste avant, peut-être après, mais la grève du lait ne va plus tarder”, explique Erwin Schöpges, le président du MIG, syndicat de producteurs belges créé au lendemain de la première grève du lait menée en mai 2008 en Allemagne et en Belgique.
Pour Nicolas Coudray (animateur de l’OPL, branche laitière de la Coordination Rurale adhérente à l’EMB) s’il manque 30 à 40 % de lait en France, les laiteries pourraient commencer à être perturbées. “Il n’est alors plus rentable de faire tourner certaines machines”, explique-t-il. Il faudrait tenir 10 jours. Mais 10 jours à nourrir et traire ses vaches pour jeter le lait, c’est très long. 

Avec qui ?
C’est la grande inconnue. La Coordination Rurale s’est prononcée “pour”. La FNSEA et sa branche lait sont clairement contre. La Confédération Paysanne n’est pas à l’aise sur le sujet et ne s’en cache d’ailleurs pas. Mais le taux de participation à la grève du lait ne sera pas le copier/coller de la représentativité des uns ou des autres. Si des cartés FDSEA ou JA annoncent leur intention d’y aller, tous les cartés de la Coordination Rurale ne font pas preuve du même enthousiasme. Par ailleurs, ça se déchire parfois dans les GAEC, voire même au sein des couples. Combien de femmes vont accepter que leur mari ouvre la vanne du tank une fois la traite finie ? Autre interrogation, quelle sera l’attitude des producteurs qui sont nulle part ? Enfin, de l’intention au passage à l’acte , combien de déperdition surtout au pays du “ptêt ben que oui, ptêt ben que non” ?

Les dommages ?
Quelle que soit l’issue de ce mouvement, les dommages collatéraux sont déjà tangibles. Certains esprits se radicalisent et les producteurs de lait sont divisés. Du côté de la transformation, de la grande distribution, des pouvoirs publics, on s’accommode fort bien de cette situation. 
Autre danger : le capital sympathie dont disposent les éleveurs dans le cœur des consommateurs pourrait être entaché à terme par des images chocs. Si le JT (Journal Télévisé) de 20 heures dans les jours à venir fait son ouverture avec des fleuves de lait déversés au caniveau, bonjour l’image. Oubliées les opérations de don du lait qui n’auront alors servi à rien. 

Les objectifs ?
A travers cette action, l’APLI revendique un prix du lait à 400 e/1 000 l et le maintien des quotas laitiers. Légitime pour les uns, démagogie pour d’autres. En coulisse, on avoue d’autres objectifs. C’est la FNSEA et sa branche lait qui sont visées. “L’heure de la gesticulation est finie, notre heure arrive”, promet d’ailleurs Jacques Lepeltier, secrétaire général de la Coordination Rurale dans une récente lettre aux adhérents. “L’activisme actuel de ces organisations est motivé par un seul objectif : casser le syndicalisme unitaire”, analyse Henri Brichart, président de la FNPL (Fédération Nationale des Producteurs de Lait). On ne peut pas faire croire aux producteurs que les gouvernements européens reviendront sur des décisions prises à l’unanimité”.

Denis Ramspacher, producteur de lait en Alsace

La grève de mai 2008 a conduit à la division des producteurs allemands

Denis Ramspacher (vice-président de la FNPL) est producteur de lait en Alsace. Proche de l’Allemagne, il nous fait part des enseignements à tirer de la grève du lait organisée par des producteurs allemands en mai 2008.

Quel regard avez-vous porté sur la grève du lait en Allemagne en mai 2008 ?
Lorsque cette grève du lait a été lancée au printemps 2008, le prix du lait était supérieur à celui d’aujourd’hui. Les organisateurs ont essayé d’inciter les producteurs alsaciens et ceux de l’Est de la France à y participer. Leur objectif était de vider les rayons. Ils n’y sont pas parvenus… Par contre, ils ont su développer une très forte communication autour de l’événement, ce qui leur a permis de rallier les médias et une partie de l’opinion allemande. Ils ont été très forts sur cet aspect de communication mais, au final, c’est Gerd Sonnleitner, le président du syndicat majoritaire, le DBV, l’équivalent de notre FNSEA, qui a négocié un minimum pour sortir de cette crise.

Des adhérents du DBV ont-ils participé à cette grève ?
Oui, des adhérents du DBV ont participé à cette grève du lait par solidarité. Ce qui a posé pas mal de problème dans les villages et même au sein des familles. Certains étaient partisans de jeter du lait sur une longue durée, d’autres estimaient que c’était un véritable gâchis. Sans parler du problème des entreprises : cette grève pouvait fragiliser certaines d’entre elles, d’autres moins, selon les produits fabriqués. Cela a créé un certain fanatisme, posant pas mal de problèmes de relation entre les producteurs eux-mêmes et entre les producteurs et les entreprises. Nous avons assisté à une division des producteurs laitiers allemands que je ne voudrais pas vivre ni dans ma région, ni en France. En période de crise, il faut l’unité de l’ensemble des producteurs et surtout ne pas tomber dans la démagogie.

Cette grève du lait a-t-elle maintenant des chances de réussir ?
L’organisation qui avait initié la grève en Allemagne en mai 2008, le BDM, avait convié d’autres pays à y participer. Une partie de l’Autriche était présente… Aujourd’hui, quand on fait le tour de l’Europe, on observe que beaucoup de producteurs allemands, hollandais, autrichiens ne sont nullement décidés à repartir pour une nouvelle grève.
En Allemagne, certains producteurs souhaitent continuer l’action pour sauvegarder les quotas laitiers. Nous aussi, au niveau de la FNPL, nous aimerions bien les conserver. Mais n’oublions pas que les 27 états membres, à l’unanimité ont acté la fin des quotas pour 2015 une première fois en 2004 et l’ont confirmé lors du bilan de santé de la PAC en 2008. La position est donc sans équivoque. D’autre part, regardons la position, non seulement des gouvernements, mais aussi celle des producteurs de lait de certains pays comme l’Allemagne ou la Hollande : ils ne veulent plus des quotas laitiers. On parle de 400 euros les 1 000 litres : c’est du rêve. On n’a pas le droit de faire rêver les producteurs avec des objectifs impossibles à atteindre. À la FNPL, nous l’avons toujours dit, un système de maîtrise de la production doit aller de pair avec un soutien des prix. Nous nous battrons pour maintenir et améliorer la performance des outils restant tels que l’intervention. Mais on ne peut pas leurrer les producteurs, l’Europe ne reviendra pas sur sa logique, ni sur la fin
des quotas. Bien entendu, nous restons très attentifs aux positions de la Commission de Bruxelles mais, aujourd’hui, aucun signe ne nous autorise à croire à un maintien des quotas au-delà de 2015. C’est pourquoi, nous devons nous prendre en main. Nous avons un immense chantier à construire pour organiser la production et la filière laitière. Personne ne le fera à notre place. Une grève du lait, comme celle qui semble vouloir être organisée, n’aboutira pas à grand chose, mis à part à faire perdre encore plus d’argent aux producteurs.

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