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Violences conjugales
« J’ai mis fin à vingt-six ans de vie commune et de violences »

Depuis un an et demi, Camille vit seule mais libre après vingt-six ans de vie conjugale. Elle a subi des violences psychologiques, financières et physiques. Aujourd’hui, elle raconte, pour que d’autres victimes franchissent le pas.

Grâce à l’association Ysos, Camille a appris à gérer sa nouvelle vie toute seule.
© JP

Elle entre dans la salle de l’accueil de jour, stressée. Elle porte une robe noire simple et élégante, ses cheveux sont noués en queue de cheval, une barrette rattrape une mèche. Elle s’assoit, pose son sac à main au pied de sa chaise, ses mains se serrent sur la table, son dos est droit, ses joues rougissent. Sa voix tremble un peu : « par où voulez-vous commencer ? » D’abord par vous choisir un prénom d’emprunt. « Camille. » L’exercice du témoignage peut commencer. « J’ai 48 ans, je suis en procédure de divorce depuis un an et demi. Mon mari a été reconnu coupable et a interdiction de m’approcher. Nous sommes mariés depuis vingt-quatre ans. J’ai subi des violences financières, physiques et psychologiques, j’ai été humiliée, rabaissée. »

« Chaque gentillesse a son revers »

Camille travaille dans le social, elle a deux enfants, et vivait avec son mari depuis vingt-six ans. Tout s’est passé « petit à petit. Au début, je faisais les courses. Puis, il m’a dit qu’il les ferait pour que j’ai moins de travail. Mais il achetait que ce qu’il voulait. Il y a quinze ans, j’ai perdu ma carte bleue. Il m’a fait croire que ça coûtait très cher de la refaire, que je n’avais qu’à pas être aussi bête. Qu’à la campagne, un carnet de chèque ça suffit. On ne se rend pas compte, mais il nous enlève de plus en plus de choses. C’est insidieux ». Camille se détend, elle sourit. « Je suis pourtant une femme de caractère, je ne me laisse pas faire mais monsieur m’a manipulée. » Elle dit monsieur car elle « n’arrive pas à dire son prénom », lâche-t-elle, le regard dur. Monsieur ouvre deux comptes joints, dans deux banques, mais Camille n’a accès qu’à un seul, où son salaire est versé et sur lequel monsieur se sert. « Il me disait que c’est pour mon bien. » Elle ne travaille pas à temps plein, « pour ne pas payer trop d’impôts, disait monsieur. Chaque gentillesse a son revers ». Autour d’elle, « tout le monde sait mais personne ne bouge ».

« Pas de vagues »

« Au quotidien, je marchais sur des œufs. Il humiliait mon deuxième fils, se moquait de son poids. Il draguait mes copines et me traitait de grosse vache. Il menaçait de confisquer mon chéquier. » Autour d’eux, monsieur fait le vide. Boit du whisky. Camille garde une seule bonne amie. Il ne la tape pas, mais mets des coups dans les murs et casse les assiettes. « Il me disait, tu as de la chance que ça ne soit pas sur toi ». Jusqu’à un soir de 2017, où il la gifle. « Je me suis dit que ne pouvais pas laisser passer ça. » Elle part porter plainte. « J’ai fait quatre fois le tour du rond-point, je me disais qu’il serait convoqué. Mais je n’étais pas dans l’optique de le quitter, je l’aimais d’un amour sincère, je me disais qu’il allait changer. » Monsieur et Camille reprennent leur vie de couple. « Une fois, nous avions décidé de ne plus nous parler pour ne pas faire de vagues. Quand j’ai discuté avec mon fils, il m’a mis un coup de poing et l’a menacé avec un couteau. Il ne fallait pas qu’il fasse ça ! » Camille appelle alors les gendarmes. Monsieur la fait passer pour « une alcoolique. J’ai soufflé dans le ballon. Je n’avais rien ». En revanche, ils constatent le bleu sur sa joue. Ce soir de juillet, monsieur part menotté. « Je venais de mettre fin à 26 années de vie commune. »

« C’est grisant »

Monsieur est placé en garde à vue, a interdiction de l’approcher. Il est condamné une première fois, fait appel. Est de nouveau condamné. « En juillet août, c’était le parcours du combattant. Je ne savais rien faire à part des chèques. Tout était à son nom, tout me tombait dessus, il a fallu que je réapprenne tout. En septembre, je suis allée demander de l’aide à la CAF. On m’a orientée vers madame Toutaint. » A raison d’un rendez-vous par semaine, elle parle, pleure, crie. « Toutes les semaines, je découvre quelque chose de nouveau. Comme faire un plein d’essence. Il ne me laissait pas faire. Maintenant, je le fais et sans passer par le guichet ! C’est grisant. » Les yeux de Camille brillent de joie, de fierté aussi. « Je vais garder la maison. Il y a encore beaucoup d’étapes à passer : la venue de l’huissier pour séparer les biens, le divorce. Ça n’en finit pas, mais il m’a donné de la force. Mon premier projet sera de tout refaire dans la maison. »

De la banquière à la femme de ménage

Camille a fait partie du groupe de paroles de l’association Ysos et de l’accueil de jour d’Alençon. Et s’est rendue compte que les violences « touchent tous les milieux. De la banquière à la femme de ménage. C’est toujours le même mode de fonctionnement, ils repèrent nos faiblesses. On m’a élevée en me disant qu’il fallait mieux réussir un mariage que des études. Mais c’est faux. » Sa voix est maintenant posée, assurée. « Si, avec ce témoignage, je peux aider ne serait-ce qu’une personne, alors ce sera une victoire de plus. »

Vendredi 10 janvier, lors de ses vœux, Chantal Castelnot, alors préfète de l’Orne, a annoncé un triste classement : « L’Orne fait partie des dix départements en France où l’on recense le plus de violences faites aux femmes ». Les chiffres : en 2018, 487 plaintes déposées par des femmes pour violences intrafamiliales, soit près d’une par commune et 51 viols et agressions sexuelles sur femmes majeures. En 2019, un féminicide. Et ce ne sont que les faits connus. « La cause des violences reste la domination de l’homme sur la femme, décrypte Maïté Billaud, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité. Peu de gens se rendent compte du phénomène. »
Informations juridiques :
CIDFF (Centre national d'information des droits des femmes et de la famille) de l’Orne : 15 rue du Théâtre, Flers. Tél. : 02 33 64 38 92

Accueils de jour :
Association Ysos: 4 rue de la comédie, Mortagne-au-Perche. Tél. : 09 54 16 39 58
ACJM : 6/8 rue Filles Saint-Claire, Alençon. Tél. : 02 33 32 20 00
Bon taxi
Il s’agit d’une expérimentation menée par le secrétariat d’État à l’égalité femme homme. « En milieu rural, les femmes victimes de violences peuvent se retrouver sans voiture, sans permis de conduire, confisqué par l’homme. Le bon taxi leur permet d’aller à un rendez-vous chez l’avocat, le médecin légiste, à l’accueil de jour. Il est prescrit par de nombreuses structures et est géré par le CIDFF qui paie la facture. La femme ne débourse rien. Entre novembre 2018 et novembre 2019, 33 bons taxis ont été distribués », détaille Maïté Billaud.
En cas d'urgence Gendarmerie et Police 17 ; Hébergement d'urgence: 115, Numéro d'écoute nationale 3919, Plate-forme de signalement des violences sexuelles et sexistes: https://www.service-public.fr/cmi
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