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Agri'aide
Eleveur laitier à bout de souffle : il s'en est sorti et il témoigne

Marcel, 35 ans, s’est installé en Gaec en 2009, dans le bocage ornais. Entre les investissements, l’installation d’une troisième personne et sa démission quelques mois plus tard, il s’est retrouvé avec une dette de 200 000 euros et la tête sous l’eau. Pour s’en sortir et ne pas sombrer, il a fait appel au dispositif Agri’aide.

© REUSSIR

C’est l’histoire de Marcel*, éleveur dans le bocage ornais. Il s’installe en 2009 avec Paul*. Les deux associés en Gaec élèvent des vaches laitières. « Jusque-là ça va », relate l’agriculteur qui a aujourd’hui 35 ans. En 2012, ils augmentent leur volume de lait et construisent un bâtiment. En 2014, arrive Rémi*. « On a repris 100 000 l de quota, des terres. » Les garanties d’emprunts courent sur les trois têtes. Pour produire plus, « sous pression de la laiterie qui nous a donné quatre mois pour faire les 100 000 l », les trois hommes achètent 30 vaches et 20 génisses. « C’était des vaches à trois trayons, en fin de lactation. Des vaches invendables ensuite. On s’est retrouvé à traire 30 bêtes de plus, deux fois par jour. On a autofinancé l’achat. C’étaient des erreurs. »

« Fais pas le con »

Un jour de mai 2016, Rémi fait une « grosse bêtise ». Les associés se disputent. Rémi quitte le Gaec sans préavis. « Ça a été une claque. On a dû revoir tous nos emprunts, nous étions démotivés et appréhendions la charge de travail à deux. » Alors, ils font des choix, « les mauvais », reconnaît Marcel. Le nouveau bâtiment est équipé de logettes, « on n’a pas acheté les tapis par manque de trésorerie. Ça a bien marché au début, puis les animaux ont eu des boiteries, des mammites. On s’est habitué à un travail pas toujours optimisé, dans de mauvaises conditions ». Avec le départ de Rémi, les semis de maïs sont mal gérés. « On n’a pas eu la récolte qui allait bien. On a commencé à avoir du mal à payer nos factures et à creuser un trou chez le fournisseur ». Le stress le ronge. La honte aussi : « on dit qu’il y a une génération qui gagne de l’argent, une qui le maintient et une qui bouffe tout. Je l’ai entendu ». Sandra* rejoint le Gaec de manière anticipée, avec 200 000 l de quota. Mais ça ne suffit pas. Marcel est à bout. « Je prenais les coups, j’avais du mal à payer les fermages. Je vivais sous une pression incroyable avec un seul objectif : continuer à faire du lait pour payer la banque, les fournisseurs, l’aliment, le matériel. » Ça continue jusqu’en 2019. Un jour, une proche lui dit : « "t’as trois enfants, fait pas le con." Elle avait compris ».

Retrouver sa liberté

« On m’a parlé d’Agri’aide. J’ai mis deux mois à prendre le téléphone. J’avais peur que tout s’arrête. » Marcel finit par appeler et tombe sur Sylvie Esneu. La dette du Gaec s’élève à près de 200 000 euros, dont 160 000 au fournisseur. « Elle est venue faire un audit économique de notre exploitation. Elle a relevé tous les points noirs, nous a envoyé un technicien lait et a travaillé avec notre fournisseur pour gérer la dette. Elle nous a ouvert les yeux. » Le technicien leur conseille de modifier le pâturage, de baisser les coûts de production et de vendre des animaux. Une partie de la vente sert à rembourser une partie des créances et à faire accepter l’échéancier mis en place avec le fournisseur. « On l’a signé, en présence de Sylvie, en 2020. » Depuis, « la dette est considérée comme un emprunt à court terme, trois ans. On a encore parfois un peu de mal, il n’y a pas de surplus à la fin du mois. Mais les choses sont claires et surtout on a retrouvé notre liberté vis-à-vis du fournisseur ». Mais il insiste, au-delà de l’aspect financier : « Sylvie nous a aidés à reprendre confiance en nous. Elle nous a dit : c’est vous le patron. Son rôle humain est très important, elle sait écouter les gens, sans jugement. Elle a son réseau, partage ses adresses. Nous avons réussi à nous en sortir car il n’était pas encore trop tard mais il ne faut pas hésiter à l’appeler. Un homme reste un homme, ce n’est pas une machine. Il ne faut pas attendre qu’on le retrouve au bout d’une corde ». Marcel admet avec sincérité ses erreurs stratégiques, « je ne remets ça sur le dos de personne » et il sait aujourd’hui ce qu’il ne referait pas. Mais il dénonce un système qui pousse au surinvestissement. Désormais, il produit moins de céréales et plus de luzerne pour gagner en autonomie alimentaire, « quitte à acheter de la paille, c’est toujours moins cher que des protéines. Et j’ai gardé la production de lait, car j’adore mon métier ».

* prénom d’emprunt.

 

Agri’aide en passe de Réagir
Agri aide existe depuis une trentaine d’années dans le département. « Avant, nous suivions une centaine de dossiers dans l’Orne. Maintenant, nous en comptons aux alentours de 70, car les exploitations sont plus grandes, les dossiers sont plus complexes », estime Hélène Pedreira, responsable de l’antenne de Sées et de la cellule Agri’aide (trois conseillers et une assistante). L’accompagnement est financé par le Conseil départemental de l’Orne, la Chambre d’agriculture et l’Union des organisations agricoles de l’Orne. Hélène Pedreira annonce que depuis l’automne 2021, Agri’aide entre dans le cadre d’un dispositif national, Réagir. « L’idée est d’apporter un socle commun aux structures qui le souhaitent. Nous nous y inscrivons progressivement en remplaçant le logo sur nos flyers. Mais nous avons choisi de ne pas changer de nom avant 2024. Depuis que nous existons dans l’Orne, nous avons noué des partenariats avec le Conseil départemental, la MSA, les banques, les coopératives, les centres de gestion. Mais les méthodes et les structures changent. La marque nationale nous permettra une meilleure visibilité sur le terrain, d’avoir un meilleur pouvoir de négociation, de partager nos expériences grâce à la force du collectif. »

Sylvie Esneu, conseillère Agri’aide


" Je suis aussi là pour rassurer le fournisseur "
« Marcel nous a appelés car il avait un gros souci avec un fournisseur. Il lui devait 160 000 euros et il lui mettait la pression pour qu’il rembourse sa dette. Quand Marcel m’appelle, je prends rendez-vous avec lui pour faire le tour de son exploitation. On voit tous les postes, si des négociations sont possibles avec les partenaires, le vétérinaire, le fournisseur. Quand j’ai contacté son fournisseur, il n’était pas content que Marcel m’ai appellée. Je lui ai expliqué que ce n’était pas contre lui. Que j’étais là pour permettre à l’exploitant de continuer son activité en se dégageant un revenu tout en remboursant sa dette. Je suis aussi là pour le rassurer. Nous avons mis en place un échéancier. On avance mais je continue son accompagnement. On s’appelle une fois par mois. On prépare le départ à la retraite de Paul. Agri aide va plus loin que le financier.
Le cas de Marcel est typique, avec un effet boule de neige. Des voisins ou la famille peut nous signaler que qu’un agriculteur va mal. Mais c’est à lui de nous appeler. Quand il le fait, c’est qu’il accepte de se faire aider, c’est déjà un premier pas. Souvent, il est débordé, pas loin du burn out. C’est compliqué pour la personne de nous voir arriver, c’est intrusif. L’issue de l’accompagnement se détermine dès la première rencontre. On sait ce que l’on peut faire. On enclenche le volet social avec la MSA si vraiment l’agriculteur est en détresse. On organise une table ronde avec toutes les personnes et on négocie sur la base de l’audit.
Avec Agri’aide, nous comptons sur des conseillers comptables, de gestion. Nous travaillons avec la MSA, le service identification, des collègues spécialisés qui remettent le pied à l’étrier. Tout se fait de manière confidentielle et nous disposons d’une artillerie qui travaille dans le même sens. Mais l’exploitant reste moteur pour sortir de ses difficultés. »

 

CONTACTS
Dans le Calvados, contact Agridif : 02 31 70 25 37
Dans la Manche, contact Agri collectif : 02 33 06 49 63
Dans l’Orne, contact Agri’aide : 02 33 81 77 80
Dans l’Eure et la Seine-Maritime, contact Atex : 02 35 59 44 80
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