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Jean-Claude Lenoir : encourager la compétitivité de notre agriculture

“L’activité agricole est une activité économique, il faut le redire : si l’agriculteur ne dégage pas de revenu, il arrête et il change de métier”. Pour le président de la commission des Affaires économiques du Sénat, le terme “compétitivité” n’est pas un gros mot.

© DR

Avec Jean Bizet (sénateur de la Manche), Jean-Claude Lenoir vient de déposer une proposition de loi visant à redonner de la compétitivité à nos producteurs et à la filière agroalimentaire. Entretien.

Quel est votre lien avec l’agriculture ?
Je suis élu de l'Orne, département rural. L'agriculture demeure une pierre angulaire de notre économie locale. Au-delà de son poids économique, elle est aussi très présente dans notre environnement et dans notre vécu quotidien. L'agriculture structure nos paysages. La ruralité, dont elle est une composante essentielle, fait partie de notre ADN. Quand l'agriculture souffre, c'est l'identité de tout un territoire qui est en jeu. D'où un lien naturellement très fort avec l'agriculture.

La crise de l’élevage a exacerbé les tensions estivales dans les campagnes. Le Gouvernement, à travers le plan d’urgence, a apporté des éléments de réponses. Qu’en pensez-vous?
La prise de conscience de l’ampleur de la crise a été tardive et insuffisante. Un premier train de mesures a été annoncé dans la précipitation fin juillet, suivi d'un second début septembre. Ces réponses de court terme ont apporté une bouffée d'oxygène. C'était le minimum indispensable. Mais elles n'apportent pas de solutions pour redonner des perspectives aux filières de l'élevage.
Le Sénat avait pour sa part tiré la sonnette d’alarme dès avant l'été. Fin mai, j’avais sollicité le ministre Stéphane Le Foll pour qu’il vienne faire un point devant la commission des affaires économiques du Sénat, que je préside. Nous avions alors insisté sur l’urgence de mesures rapides et énergiques. Faute de réaction, nous avions pris l'initiative, avec Gérard Larcher, d'organiser une table ronde, le 16 juillet, avec l’ensemble des acteurs des filières en crise : lait, porc, viande bovine.
Nous avons ensuite poursuivi nos travaux pour contribuer aux réponses structurelles qu'appellent les difficultés actuelles. Début octobre, nous avons rencontré le commissaire européen Phil Hogan pour lui faire part de nos attentes, car une partie de ces réponses se situe au niveau européen. Avec Jean Bizet, nous venons par ailleurs de déposer une proposition de loi visant à redonner de la compétitivité à nos producteurs et à la filière agroalimentaire.

Les agriculteurs français et européens ont également manifesté début septembre à Bruxelles. Ils sont repartis déçus. L’Europe ne vit-elle pas un problème de Gouvernance ? Ses décideurs sont-ils connectés aux réalités du terrain?
La commission a tardé elle aussi à prendre la mesure de la situation. En septembre, le commissaire Phil Hogan émettait encore des doutes sur la réalité de la crise, laissant entendre qu'elle était dans les esprits plus que dans les chiffres. Depuis, le discours a un peu évolué. Mais un fossé sépare toujours la réalité vécue par les éleveurs de la perception qu'en ont les dirigeants européens.
Il faut dire que tous les États membres ne se trouvent pas dans la même situation et c'est bien notre problème. Même si les prix baissent partout, certains sont plus solides que d’autres, de sorte que leurs éleveurs peuvent faire face plus facilement aux situations de crise. Sur le porc, par exemple, l’Espagne qui a investi dans des ateliers modernes et performants, peut tenir plus longtemps que la France.

La PAC est-elle une politique d’avenir ? Que répondez-vous aux eurosceptiques sur le sujet ?
La PAC reste indispensable à l’agriculture européenne et à l’agriculture française en particulier. Sans elle, chaque Etat aurait une politique agricole nationale et les problèmes de distorsions de concurrence que nous subissons déjà exploseraient. Je rappelle par ailleurs que la PAC apporte près de 9 milliards d’euros par an aux agriculteurs français. Si elle disparaissait, des pans entiers de notre agriculture seraient en grand danger.
Cela dit, il est clair que la PAC doit évoluer pour mieux prendre en compte les attentes des agriculteurs, en particulier en matière de sécurisation de leur revenu et de simplification. C'est dans cet objectif que le Sénat a pris les devants, dès le début de l'année, en engageant le dialogue avec les autorités européennes. Nous avons également mis en place un groupe de travail pour préparer et anticiper dès maintenant les futures réformes de la PAC.

Avec deux autres normands, Gérard Larcher et Jean Bizet, vous avez œuvré à une future proposition de loi sur l’agriculture. Comment est née cette initiative ?
La loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014 était avant tout axée sur le développement de l’agro-écologie. Ce faisant, elle est passée largement à côté de l’enjeu de compétitivité. Or, l’activité agricole est une activité économique, il faut le redire : si l’agriculteur ne dégage pas de revenu, il arrête et il change de métier.
Comme beaucoup de collègues sénateurs, je me refuse à voir nos campagnes devenir de vastes déserts sans agriculteurs. Ce qui nous impose d'agir pour remédier aux faiblesses structurelles qui pèsent sur la compétitivité de nos filières agricoles. N’oublions pas non plus le secteur agroalimentaire, qui irrigue l’économie de nos territoires.
Avec Gérard Larcher et Jean Bizet, nous avons donc mis l’été à profit pour mûrir notre réflexion et pour proposer de nouvelles dispositions législatives permettant d'encourager la compétitivité de notre agriculture. Notre proposition de Loi, à laquelle se sont ralliés de nombreux collègues sénateurs, devrait être débattue au Sénat d’ici au mois de décembre.

Vous évoquez dans ce projet “un meilleur partage de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne”. Quelque chose que revendiquent tous les agriculteurs. Comment le politique peut-il rééquilibrer le rapport de force entre les différents acteurs ?
L’agriculteur ne peut pas rester le maillon faible en matière de rémunération sauf à mettre en péril la production. La question de la répartition des marges est donc centrale. Grâce aux travaux de l’observatoire des prix et des marges, dont le rôle avait été renforcé par la loi agricole de 2010 portée par le précédent Ministre Bruno Le Maire, nous avons beaucoup progressé dans l’accès aux informations. L’observatoire met en évidence les phénomènes, ce qui est un préalable, mais il ne permet pas de remédier aux causes des déséquilibres. Il faut donc aujourd'hui aller plus loin. Le problème est posé au niveau européen : la commission européenne a mis en place un groupe d’experts de haut niveau sur cette question et Phil Hogan nous a confirmé le 8 octobre qu'il s'agissait pour lui d'une priorité. Au niveau national, une meilleure répartition des prix et des marges passe par des discussions au sein des interprofessions et par un meilleur équilibre dans la contractualisation qui prenne en compte les coûts de production et les travaux de l'observatoire. Nous proposons notamment d'instaurer un rendez-vous annuel de l’ensemble des acteurs destiné à éviter les guerres de prix et à définir des stratégies de filière communes. Chacun doit faire des efforts pour que tout le monde y gagne.

Vous souhaitez également “faciliter l’investissement et la gestion des risques”. Comment y parvenir alors que les caisses de l’Etat sont vides et que les trésoreries dans les exploitations sont exsangues ?
Ces questions sont au cœur de nos discussions avec la Commission européenne. J'ai retenu de nos échanges avec Phil Hogan qu'elles faisaient partie de ses chantiers prioritaires. Il nous a indiqué qu'il travaillait à des instruments financiers et que, d'ici au printemps 2016, il espérait donner aux agriculteurs plus de visibilité sur la durée et le coût des prêts ainsi que sur la volatilité des prix. Nous attendons donc des réponses aux questions que nous lui avons posées.
Au plan national, nous proposons d'améliorer les outils existants, notamment à travers le levier fiscal. Par exemple en rendant les travaux de construction ou de rénovation des bâtiments d’élevage éligibles à la déduction pour investissements (DPI) ou en élargissant aux bâtiments de stockage la déduction exceptionnelle en faveur de l'investissement prévue par la Loi Macron. La gestion des risques passe également par une fiscalité plus adaptée : par exemple en ne taxant pas les sommes mises en réserve pour faire face aux coups durs qui pourront survenir plus tard, comme nous le proposons. Gérer les risques passe aussi par le développement des assurances en agriculture : des crédits européens sont disponibles pour financer ce type de mesure. En France, commence à être mis en place le contrat socle. Attendons de voir comment le dispositif se déploie avant de le juger. Nous devons aussi nous tourner vers les autres pays qui ont mis en place des dispositifs performants de gestion des risques économiques, comme les États-Unis avec leur nouveau Farm Bill, et s’inspirer de leurs bonnes pratiques. Gérer convenablement les risques ne nécessite pas forcément des moyens budgétaires supplémentaires mais exige de bien les utiliser pour faire face aux fluctuations des marchés.

Vous faites de la compétitivité de l’agriculture et l’agroalimentaire français un cheval de bataille. Sur ce plan, en quelques décennies, la France a perdu le leadership européen se faisant doubler par l’Allemagne et l’Espagne sur certaines productions. Comment l’expliquez-vous ? A qui la faute ?
La responsabilité est certainement collective. On observe depuis de nombreuses années un trop faible investissement dans l’agriculture et l’agroalimentaire, en particulier dans le secteur de l’abattage-découpe. Certains outils de production sont vieillissants. Réinvestir pour les moderniser est indispensable pour retrouver de la compétitivité.
Nous avons aussi un cadre normatif trop rigide, qui nous pénalise et impose des mises aux normes trop coûteuses, en matière de qualité de l’eau, de bien-être animal, ou encore de gestion des effluents d’élevage. Autant de facteurs qui expliquent qu'en fin de carrière les agriculteurs préfèrent parfois arrêter leur activité plutôt que de remettre aux normes leur exploitation pour la transmettre à un jeune. C'est pourquoi nous proposons d'agir à la fois sur l'investissement et sur l'allégement de charges de toute nature qui pèsent sur la compétitivité des entreprises agricoles.

Pour expliquer ce manque de compétitivité, le syndicalisme agricole évoque des normes environnementales franco-françaises, sans parler de la fiscalité ou du social. Vous partagez ce point de vue ?
La commission des affaires économiques du Sénat a mis en place un groupe de travail sur les normes en agriculture. Ses travaux nous permettront de disposer d’informations objectives sur la surréglementation en France et de proposer des solutions.
Il est évident que certaines dispositions du droit de l’environnement sont extrêmement sévères en France, alors que nos concurrents sont plus souples. Les délais d’instruction des dossiers par l’administration sont aussi extrêmement longs, ce qui n’aide pas les porteurs de projets, par exemple en cas de création d'un méthaniseur agricole ou d'extension de bâtiments d’élevage. Nous devons travailler sur tous les leviers pour lever les freins à l’investissement, le volet réglementaire, le levier fiscal et le levier social. Nous proposons d'ores et déjà plusieurs mesures d'allégements de charges, en particulier pour les jeunes agriculteurs en début de carrière. Nous proposons également un rendez-vous annuel de simplification de la vie des entreprises agricoles.

Dans cette crise, il y a une petite part d’embargo russe. D’une façon générale, ne se prend-on pas les pieds dans le tapis quand, pour des raisons politiques, on veut sanctionner économiquement un adversaire bien plus puissant que soi ?  En d’autres termes, l’économique peut-il servir de variable d’ajustement au politique ?
Prendre des sanctions contre un pays, c'est forcément s'exposer au risque de mesures de rétorsion. La question est de les anticiper et de mettre en place les outils qui permettent d'y faire face. En l'occurrence, et même s'il existe bien d'autres causes à la crise actuelle, les agriculteurs font aujourd'hui les frais de décisions et d'un environnement politique qui les dépassent. Ce n'est évidemment pas normal. Dans une situation de ce type, la solidarité doit jouer. Un dispositif de gestion des risques efficace doit aussi permettre de couvrir ce type d'aléas.

L’Europe a bâti une politique agricole commune. Pourquoi n’arrive-t-on pas à construire une politique commune étrangère, de la justice, militaire, de l’éducation, sociale, fiscale (...) ?
Je ne suis pas sûr que nous réussirions à mettre en place une politique agricole commune aujourd'hui. Sous l'effet des difficultés économiques, le contexte a changé et les raisons de se replier sur soi sont devenues plus fortes. Chacun cherche à se protéger. Nous payons aussi le prix d'un élargissement mal maîtrisé, sans doute.

La Ferme normande se targue de ses produits d’excellence (AOC, AOP, Label...). Doit-elle se concentrer au développement de ces filières ou tenter de jouer aussi sa chance sur le marché mondial ?
Les deux bien-sûr. La Ferme normande a beaucoup d'atouts. Comme la Ferme France, elle doit miser à la fois sur ses produits d'excellence et compter sur ses performances pour être présente dans la compétition mondiale, dont je rappelle qu'elle commence par la compétition européenne. La Normandie est porteuse d'une image de marque haut de gamme réputée dans le monde entier sur laquelle nous devons nous appuyer. Je l'ai vérifié encore tout récemment en participant à la promotion de produits normands lors du lancement d'un portail internet chinois dédié aux produits alimentaires. 

OGM, ferme des 1000 vaches, GDE à Nonant (...). Que vous inspirent ces sujets très médiatisés ?
S'agissant du dossier GDE Nonant, c'est devenu un imbroglio juridique non dénué d'arrière-pensées politiques, on le voit bien aujourd'hui. Sur le fond, je n'ai jamais compris qu'on ait pu choisir un tel site pour réaliser ce projet, ne serait-ce que pour une question d'image, indépendamment des questions légitimes posées à travers les expertises. Sur un plan général, on peut regretter que les réactions passionnelles qui s'expriment sur tous ces sujets sensibles ne laissent guère de place à l'échange serein d'arguments. Quant à la médiatisation, elle n'aide pas toujours à y voir clair. C'est dommage pour le débat public.

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