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RENCONTRE AVEC LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE
Julien Denormandie : « Dire que l’agriculteur se moque de l’environnement, c’est un non-sens »

« Dire que l’agriculteur se moque de l’environnement, c’est un non-sens », souligne le ministre de l’Agriculture avant d’ajouter : « Les agriculteurs sont les premiers à subir les changements climatiques ». Entretien.

JULIEN DENORMANDIE
© AGRICULTEUR NORMAND

>> Dix ans après la dernière vague de 2010, votre ministère lance une nouvelle campagne du recensement agricole. Quelles vont être ses modalités ?
Le recensement a commencé le 1er octobre et se terminera fin mars 2021. Il concerne les 420 000 exploitations françaises. Chaque chef d’exploitation va recevoir un courrier ou un courriel, qui lui fournira les identifiants pour aller sur le site recensementagricole2020.fr où il pourra remplir le questionnaire. Nous avons voulu faire un questionnaire simple, facile, en partie pré-rempli en utilisant les données de la PAC. Pour 350 000 exploitations, l’agriculteur fera sa déclaration en ligne. Pour les quelque 70 000 exploitations restantes, nous ferons - si l’agriculteur l’accepte évidemment - des entretiens plus qualitatifs. Ils permettront d’aller un cran plus loin, de bénéficier du ressenti. J’appelle les agriculteurs à prendre part massivement à ce recensement. C’est un acte civique qui n’a comme autre finalité que de pouvoir adapter nos politiques au bénéfice justement des personnes interrogées.

>> Qu’en attendez-vous ?
C’est un événement important qui doit nous permettre de définir les politiques publiques les plus adaptées aux réalités du terrain. Au-delà de la masse des données, ce qui m’intéresse le plus, c’est de savoir, territoire par territoire, quelle est véritablement la situation. J’en attends un outil d’aide à la décision publique pour être sûr que les décisions que nous prenons correspondent à la réalité des territoires. Par exemple, nous sommes en train de discuter de cet incroyable défi qui est au cœur de toute la politique de souveraineté et d’indépendance que je prône depuis mon arrivée : le défi démographique, le renouvellement des générations d’agriculteurs. À chaque fois que je me déplace sur le terrain, j’entends le même chiffre dans tous les territoires : 50% des exploitations vont cesser leur activité dans les cinq à dix ans qui viennent. Cela prouve bien qu’il y a besoin de plus de finesse. Cela change tout de savoir si le défi est immense dans un territoire et un peu moins dans un autre. S’il est à 5, 7 ou 10 ans...

>> Au-delà de cette dimension territoriale, le nombre global d’agriculteurs sera aussi très commenté. Pensez-vous qu’il doit cesser de diminuer ?
Un pays ne peut pas être fort sans une agriculture forte et il n’y a pas d’agriculture sans agriculteurs. Ceci étant, faut-il prédéfinir un nombre précis d’agriculteurs dans notre pays ? Je ne pense pas que ce soit le bon angle. Cela dépend des évolutions, des moyens de production, des modèles et jamais je ne m’inscrirai dans une opposition entre modèles. Je trouve absurde de considérer que le seul modèle est l’export ou à contrario les circuits courts. Si nous voulons une France forte, une agriculture forte, nous avons besoin des deux.


>> Quelle est votre position dans le débat sur la répartition des aides Pac à l’actif ?
C’est une question légitime débattue au niveau européen. S’il y a une difficulté sur la définition de l’actif, l’idée est de soutenir les exploitations qui génèrent de l’emploi et qui font vivre nos territoires. Voilà ce que je porte.

>> Cet aménagement du territoire est-il compatible avec des exploitations de 500, 700, 1 000 vaches ?
La difficulté de l’aménagement du territoire est qu’il doit se confronter à la demande sociétale et la question des grands élevages est d’abord une question sociétale. C’est aussi le cas des abattoirs confrontés à une demande de la société. « On aime beaucoup les animaux, et pour beaucoup d’entre nous aimons la viande, mais on n’aime pas ce qui se passe entre les deux ». Face à cela, la société exige des investissements conséquents dans les abattoirs. Le problème est que ces outils ne dégagent pas assez de marges pour investir. Ils ne sont donc pas en mesure d’y répondre d’autant que les contradictions sont nombreuses. « Je vous demande d’investir, mais je ne veux pas payer la viande plus chère ». Il faut avoir le courage politique de dire que, dans ce cas, il faut accompagner cette demande sociétale pour trouver la solution. C’est pour cela que, dans le plan de relance et comme les abattoirs ne peuvent pas financer leur propre modernisation, l’État vient les accompagner à hauteur de 125 millions d’euros. Un effort sans précédent.

>> Dans ce cadre, quels types d’investissements seront priorisés ?
Notre approche s’intéresse en priorité à la pérennité des abattoirs sur le territoire. Les filières viande en dépendent. S’il n’y a pas d’abattoir à côté des élevages d’agneaux du Quercy, il n’y a plus d’agneaux du Quercy.

>> Comment seront accompagnés ces projets ?
Nos deux objectifs concernent la modernisation de l’existant et le soutien à la création d’abattoirs mobiles. Nous permettrons, par ce plan de relance, de sortir de l’injonction paradoxale qui mène à l’impasse.

>> Quel est votre regard sur le développement des alternatives végétales à la viande et sur leur dénomination ?
Je suis en train de travailler sur cette dénomination de « steak » ou « aiguillette ». Il existe déjà des dispositions législatives, mais je voudrais accélérer la prise d’un décret qui permettra d’avoir une base juridique pour combattre les utilisations détournées. Soyons clairs : un « steak » de soja, ce n’est pas un steak. Les termes de «steak » ou « aiguillette » ne doivent pas pouvoir être utilisés si le produit n’est pas de la viande.

>> Dans ce plan de relance, le soutien à la méthanisation apparaît de manière assez modeste contrairement au développement de l’hydrogène et du nucléaire...
Il n’y a aucun doute qu’il faille continuer à soutenir la méthanisation. Je crois beaucoup en cette filière pour son apport énergétique, sa dimension d’économie circulaire et de circuit court et également la rémunération de long terme qu’elle apporte aux agriculteurs. C’est une filière qui a eu du mal à démarrer, mais aujourd’hui, ça décolle très fort. C’est pourquoi il y a un projet du Gouvernement pour réformer les tarifs d’achat du biogaz. Nous sommes en train de dépasser très largement le budget prévu pour la méthanisation dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (décret d’avril 2020, NDLR). Des débats sont en cours sur ces prix. Il faut distinguer les projets agricoles individuels ou collectifs qui doivent continuer à être pleinement soutenus des gros projets industriels. Il y a aussi la question de l’alimentation des méthaniseurs sur laquelle il faut être vigilant, mais je crois au rôle de l’agriculture dans la production d’énergie.

>> Les céréaliers alertent sur la baisse de leurs revenus et la nécessité d’opérer un rééquilibrage des aides. Y êtes-vous favorable ?
Face aux aléas climatiques 2020, nous devons avoir des réponses à court et moyen termes. Le court terme porte sur la trésorerie, les SIE, les avances sur les aides PAC, les allègements de charges sociales ou les calamités agricoles quand elles peuvent s’appliquer... Je m’y suis engagé, nous sommes en train de le faire.
Parallèlement, il y a aussi une réponse à moyen terme à apporter : comment adapte-t-on notre agriculture aux aléas du changement climatique ? Dans le plan de relance, plus de 100 millions d’euros y sont consacrés uniquement pour financer du matériel visant à s’adapter aux changements climatiques, pour irriguer ou pour mieux gérer l’eau par exemple.

>> Comment comptez-vous faciliter les projets de retenues d’eau ?
S’agissant des retenues d’eau, il faut s’appuyer sur les projets territoriaux de gestion en eau (PTGE), mais je reconnais que la discussion doit s’accélérer.
Les conflits autour de l’usage de l’eau sont vieux comme le monde, mais je le dis clairement : les agriculteurs ont besoin d’eau. Il faut donc optimiser sa gestion. La seule façon de le faire est d’accélérer la construction de stockages individuels ou collectifs et de le faire dans la concertation.
Néanmoins, celle-ci ne doit pas durer huit à dix ans comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Cela génère des crispations.

>> Barbara Pompili a annoncé l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques et de l’élevage de visons pour la fourrure en France. Ces mesures font partie du référendum pour les animaux. Pourtant vous avez assuré que ce référendum d’initiative partagée (RIP) n’est « pas le bon véhicule » pour agir. N’est-ce pas contradictoire ?
Je respecte le processus démocratique du RIP qui est en cours, mais ce n’est pas le bon outil. C’est un sujet sur lequel nous ne pouvons pas répondre de manière binaire, par oui ou par non.
Si vous demandez à n’importe qui s’il préfère qu’une poule vive dehors ou dans une cage, il va répondre « dehors », mais cette même personne est-elle d’accord pour payer son œuf plus cher ?
Par ailleurs, cela représenterait quelque 200 millions de poules que l’on mettrait dans les champs alors que certains trainent en justice le « coq Maurice » trop bruyant. Le débat doit donc être apaisé et éclairé.

>> Justement, le RIP ne va pas vers l’apaisement ?
Le débat est très mal posé. Il y a un amalgame entre maltraitance et bien-être animal. D’un côté, la maltraitance animale se combat de manière intransigeante : c’est un acte délibéré, interdit par la loi, qui vise à nuire à un animal.
De l’autre, le bien-être s’accompagne, que ce soit au niveau des élevages ou des abattoirs, où les problématiques sont différentes. Aujourd’hui, dans ce RIP, il y a un enchevêtrement des deux notions qui donne le sentiment que les éleveurs devraient se défendre d’une quelconque maltraitance. Or, ils sont les premiers à vouloir plus de bien-être pour les animaux. Mais, pour accompagner cette transition, cela nécessite qu’ils soient correctement rémunérés ! Le consommateur doit donc être un acteur et pas uniquement dans l’injonction.
Nous avons affaire à des débats stériles opposant agriculture et bien-être animal, agriculture et environnement...
Les agriculteurs sont les premiers à subir les changements climatiques. Le climat, on le subit ; le sol, on le chérit. Dire que l’agriculteur se moque de l’environnement, c’est un non-sens.

>> En ce qui concerne la future PAC, son contrôle devrait être basé non pas sur un objectif de moyens comme jusqu’alors, mais sur un objectif de résultats. Or il semblerait que l’on se dirige vers les deux. Comment dans ces conditions parvenir à une simplification ?
C’est un débat auquel je participe avec beaucoup d’insistance depuis trois mois. La vraie question aujourd’hui est de savoir si l’on veut passer de la conformité à la performance. Je crois beaucoup à la performance, bien plus qu’à la conformité. Je m’oppose au fait que l’on ajoute une complexité qui viendra peser sur le dos des agriculteurs. Et je suis attentif à ce que la nouvelle PAC ne soit pas encore plus complexe qu’elle ne l’est actuellement. J’échange beaucoup avec mes collègues européens sur le sujet. La simplification sera aussi un gage d’appropriation des objectifs de la nouvelle PAC.

>> Avez-vous des craintes vis-à-vis des eco-schemes ?
Il faut que les eco-schemes, la conditionnalité renforcée et tout ce qui est du ressort du premier pilier de la PAC permettent d’accompagner l’agroécologie. L’agroécologie n’est pas pour moi une vision, mais un moyen pour atteindre durablement la souveraineté, pour réduire nos dépendances, à l’eau, aux produits phytosanitaires... La demande que je formule au sujet des eco-schemes, c’est qu’ils soient obligatoires pour tous au sein de l’Union européenne. A partir du moment où l’on est dans un marché commun, nous devons tous avoir les mêmes règles.

>> La Commission européenne va envoyer des recommandations à chaque État membre pour l’aider à construire son plan stratégique national (PSN). Mais c’est aussi elle qui au final va valider ce plan. N’y a-t-il pas une crainte de verrouillage dès de départ ?
En effet. C’est pourquoi je demande, avec d’autres États membres, à ce que les PSN soient discutés au niveau du Conseil et non pas au niveau de la Commission européenne. Les PSN, c’est un acte politique et c’est un gage de toute la convergence européenne.

>> Quel regard portez-vous sur les propositions de l’Assemblée citoyenne pour l’agriculture (ACA), qui s’est réunie du 25 au 27 septembre dans le cadre de l’élaboration du PSN pour la PAC 2022 ?
Les résultats définitifs de cette consultation ne seront connus que d’ici plusieurs semaines. Mais je veux lever une inquiétude - car j’ai beaucoup été interpellé sur le sujet pendant le week-end dernier - sur le fait que l’on confierait les « clés du camion » à des citoyens tirés au sort sur la politique agricole… Il est dans notre intérêt à tous d’avoir un débat avec les citoyens sur l’agriculture et le rôle de l’Europe dans notre agriculture. C’est un bel exercice que de pouvoir confronter son point de vue. J’ai rencontré ces citoyens et les débats étaient de qualité et très intéressants. C’est aussi un élément qui entre dans la préparation du Plan stratégique national. Bien sûr, tout le PSN ne repose pas sur cet événement, mais il en fait partie. Enfin, il faut rappeler que ce type de consultation est obligatoire. La loi nous impose de consulter les citoyens avant le PSN, au niveau français, comme au niveau européen. En France, cette obligation passe par la Commission nationale du débat public (CNDP). Je pense qu’il faut plutôt la voir comme une opportunité que comme une crainte.

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