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Rencontre avec Patrick Poivre d'Arvor
“Le patriotisme économique se justifie”

Originaire à la fois de Bretagne et d'Auvergne, le journaliste Patrick Poivre d'Arvor se défend d'être un citadin. Proche du monde agricole, il rappelle les faits d'actualité et les personnes qui l'ont marqué en agriculture durant ses trente années au journal télévisé. Il revient aussi sur la révolte des bonnets rouges, l'agroécologie,le rôle de la grande distribution et sur le “nécessaire patriotisme économique”.

© DR

Quel a été votre premier contact avec l’agriculture ?
Ça remonte à l’enfance. J'ai passé, avec ma soeur Catherine, toutes mes petites vacances dans une ferme située à une quarantaine de kilomètres de Reims, près de Dormans et d'Epernay, chez de très bons amis agriculteurs de mes grands-parents maternels. Des amis de longue date qui les avaient beaucoup aidés pendant la guerre. C'était la famille Grosdidier. Sur leur exploitation d'une cinquantaine d'hectares, je me souviens qu'il y avait des vaches et deux chevaux qui, progressivement, ont été remplacés par les tracteurs. Un peu plus tard, mais de façon relativement récente, les enfants se sont mis à la viticulture, précisément au champagne. Ces vacances, pour moi, étaient magiques. C’était la liberté. Quitter la ville et toutes ses contraintes... C’était la liberté totale. Ca a été le premier contact avec l'agriculture et en même temps, ça a été le contact fondateur. C’est vraiment ce qui a fait mon rapport à la nature et au monde paysan. J'ai profondément aimé ces gens. J’étais aussi admiratif de leur capacité de travail. Par la suite, j'ai continué à voir le fils de la famille, qui est devenu maire de son village, Champvoisy. Il m’a toujours parlé des problèmes des zones rurales et de son métier. Ce qui m'a permis, je pense, de parler d’agriculture avec un regard plus juste.

Vous avez présenté JT pendant une trente d'années. L’agriculture y tenait une place importante?
Je pense qu’elle avait une place beaucoup plus importante que dans d’autres journaux télévisés, à proportion de ce qu’elle représentait. A 13 heures aussi, mon confrère Jean-Pierre Pernaut lui donnait beaucoup de place et il continue à lui en donner.
Mais ça n’était pas dans l’air du temps à ce moment-là, on était un peu à contre-courant. Il y avait de moins en moins de sujets, en-dehors du Salon de l’agriculture qui revenait chaque année, et de rares reportages sur le blocage des routes par les agriculteurs ou encore le déversement de lait ou de pommes de terre etc. De mon côté, je faisais en sorte d'en parler davantage, d'en parler beaucoup même, parce qu'au-delà de nos propres racines – nombreux sont ceux qui ont eu un parent, un grand-parent ou un arrièregrand-parent agriculteur –, l'agriculture et ses évolutions signifiaient aussi des choses sur notre pays : comment il avait avancé, avec ses révoltes, ses révolutions, un certain bon sens. Tout ça est évidemment né de notre culture rurale, et en particulier du monde agricole.

Le fait d’actualité agricole qui vous a marqué ?
Un fait m’a en effet marqué, c'était juste avant de devenir journaliste : ce sont les manifestations de paysans bretons survenues au début dans années 60. Un homme que j’ai beaucoup rencontré par la suite, s’est fait remarquer : il s’appelait Alexis Gourvennec, un grand patron de la révolte des paysans bretons. Il a été le premier à défoncer les grilles de la sous-préfecture de Morlaix, avec ses tracteurs et ses artichauts. Pour désenclaver le Finistère et permettre aux agriculteurs d’exporter leur production de l’autre côté de la Manche, il a ensuite créé la compagne Brittany Ferries en 1972, dont la majorité des capitaux étaient détenus par les agriculteurs. Un homme impressionnant. Et il était passionnant, alors, d’observer ce monde en pleine mutation, qui, malgré les difficultés, ne s’est pas arc-bouté, mais a trouvé ses propres solutions.

Vous souvenez-vous d'un ministre de l’Agriculture en particulier ?
Parce que j’ai commencé avec lui, je dirai Jacques Chirac. Ce fut très intéressant de voir comment un citadin pur jus qu’il était – débarquant de son train tous les lundis dans sa circonscription – a aimé profondément le cul des vaches. C'est lui qui, au fond, a su faire la passerelle entre le monde paysan et les Français en général. Grâce à sa popularité et à sa culture, il a su populariser sa cause auprès de tous.

Avez-vous eu l'occasion de rencontrer l'actuel ministre, Stéphane Le Foll ?
Nous nous sommes vus récemment, à Paris, pour le lancement de produits bio de mon amie Babette de Rozières (cheffe cuisinière et animatrice de télévision, NDLR).

Sa marque est la mise en place de systèmes de production visant la double performance économique et environnementale : l’agroécologie. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?
Je pense qu’il faut continuer dans cette direction. C'est obligatoirement l’avenir, même si je peux comprendre que des agriculteurs, qui sont déjà sur le fil, aient beaucoup de mal avec des contraintes supplémentaires. Les efforts à faire dans ce domaine doivent être progressifs. Mais, le nombre d’agriculteurs qui se sont adaptés et s’adaptent aujourd'hui, est aussi impressionnant. Il faut arrêter de les fustiger en les prenant pour responsables de tout. Il y en a beaucoup qui ont déjà agi dans ce sens. En revanche, j’espère, j’aimerais beaucoup, que ceux qui ne font pas leur travail comme ils devraient le faire, assument désormais leur part : je pense là, à la grande distribution. C'est d'ici que le changement doit venir - en payant au vrai prix ce qu'est le travail d'un agriculteur.

Et l'Etat ? La difficulté vient aussi du fait que cette réforme dispose de très peu de moyens. Le ministre de l’Agriculture mise surtout sur des initiatives des agriculteurs eux-mêmes. Cela peut-il être suffisant ?
C’est précisément le problème du gouvernement dans tous les secteurs. Soyons clairs : les caisses sont vides, il n’y a pas de sous. Il y a certainement de la gratte à faire encore. Il y a notamment beaucoup de travail à faire en matière d'évasion fiscale, mais pour le reste, ils sont à l’os. Et étant à l’os, ils ne font que des propositions qui ne coûtent pas chères. Ce sont souvent des intentions. Il est certain que si celles-ci étaient accompagnées d’un peu d’argent, ça aiderait.

Pressentiez-vous la révolte des bonnets rouges ?
Tout d'abord, j'aime beaucoup les bonnets rouges de 1675. Ce sont eux qui ont sonné la révolte sur la fiscalité. Et globalement, les Bretons ont toujours été précurseurs de ces mouvements – je pense aussi à la révolution française. J'aime l’idée qu’un pays se prenne par la main, c’est vraiment le cas de la Bretagne. La région n’a en effet pas toujours considéré qu’il fallait sonner les cloches du gouvernement. Quelques entreprises ont mis hélas la clé sous la porte, du fait certainement d’un manque d’adaptation à la concurrence. Mais il faut aussi voir ce qu’est devenue cette concurrence – je me mets à leur place. Dans tous les cas, on ne peut pas reprocher aux Bretons d’être restés les deux pieds dans le même sabot. Je pense notamment à la réalisation du réseau de quatre-voies, “gratuites”, de la région, il y a une cinquantaine d'années. C'est venu des Bretons. Ils ont fait des choses qui leur ont permis de ne pas être dépendants. Donc, je peux comprendre cette révolte contre l’écotaxe. Moi-même quand je vois ces espèces de portiques qui ont l’air de “fliquer” tout le monde, ça me choque. Le principe ne me plaît pas. Et en même temps, je suis favorable à ce que l'on encourage toutes les bonnes initiatives écologiques. Mais ce doit être progressif.

Les Bonnets rouges portent aussi des revendications
sur l’emploi ?
Oui, et le problème numéro 1, il est là en réalité. Au départ, c’est un bouton qui montre qu’il y a un problème, mais on s’aperçoit que la fièvre est beaucoup plus grave que ce bouton. Le Bretagne a été rattrapée par la crise. Beaucoup trop de gens ont été mis sur le carreau ces derniers temps.

De façon plus générale, vous avez aussi des amis proches investis dans le vignoble bordelais, que vous remontent-ils aujourd'hui ?
J'ai en effet de proches amis dans la viticulture, à Bordeaux. Et la vérité, c’est que ça se passe bien pour eux, même s’ils me parlent aussi de l'arrivée des Chinois, du goût qui évolue... Mais globalement, ça ne se passe pas trop mal pour eux. C’est d’ailleurs la preuve qu’il faut encore croire aux vertus de l’agriculture. Il est possible de bien, voire très bien, s'en sortir dans ce secteur.

Vous avez également été l'un des parrains des Jeunes agriculteurs de Bretagne en 2012, précisément pour les producteurs de légumes. Les retours ont-ils été aussi positifs ?
Ce sont franchement des gens qui souffrent, pour un grand nombre d'entre eux. Ils travaillent tous les jours et durant toutes les vacances. Il faut le répéter quand tout le monde se plaint des RTT, des 35 heures... Ce sont sincèrement des gens admirables. D'autant plus, parce que ces vertus de travail sont en train de disparaître un peu partout en France. Le travail est considéré comme une sorte de punition. Les agriculteurs nous montrent une autre voie.

Les consommateurs réclament aujourd'hui plus de transparence en matière de traçabilité. Qu'en pensez-vous ?
Je trouve ça bien. Ca me paraît la moindre des choses de savoir que la viande que j’achète vient de Salers ou de Roumanie. Si j’ai le choix, j’irai toujours vers une viande de mon pays, parce que je pense que ce patriotisme économique est nécessaire, il me paraît même naturel. Mais il est vrai aussi que j’ai plus de moyens qu’un certain nombre de gens qui sont obligés de calculer au centime près. On en revient toujours au même point, à savoir qu'il faut faire en sorte d'aider les producteurs français, face à la concurrence.

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