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Raconte-moi ton algérie
MARC FESSARD : “j’ai été de corvée de bois”

Plus de 1,3 million d’appelés ou rappelés du contingent ont passé de 6 à 36 mois en Algérie entre 1956 et 1962. Parmi eux, de nombreux agriculteurs (ou futurs agriculteurs). Marc Fessard, agriculteur retraité à Hauville (27), se souvient.

"En 426 jours d’AFN (Afrique du Nord), je n’ai rien eu à me reprocher. Enfin si, j’ai pris l’imperméable d’un fellag, mort pour me protéger de la neige”. Marc Fessard, né le 17 février 1938 à Roumars (Seine-Maritime), a d’abord effectué 13 mois de service militaire à Constance (Allemagne) avant de partir, le 14 mai 1959, pour l’Algérie. Une dernière nuit à Marseille agitée. “On a foutu le bordel. On a cassé des vitrines et des voitures”. Ce qui explique peut-être qu’à son retour en juin 1960, les CRS encadraient du bout de leur canon les revenants.
Mais à l’heure de son débarquement à Philipeville, les canons étaient tournés dans l’autre sens. “Les militaires, avec leur MAT (Ndrl : pistolet mitrailleur français), nous tournaient le dos pour surveiller les civils”. 

Du dégout pour la corvee
S’il n’a rien à se reprocher et n’a jamais tué personne, Marc a dû cependant  s’exécuter et exécuter des ordres sans autre issue que d’obéir. “Ce qui m’a le plus dégoûté, ce sont les corvées de bois”. 3, 4 ou 5 ? Il ne se souvient plus exactement combien. “Quand un fellaga était fait prisonnier et qu’il ne voulait pas parler, il n’était pas tué au poste. On lui liait les mains et on l’emmenait sur une brêle dans la forêt ou sur la colline. Là, on faisait une halte, puis, semblant de dormir. Le fellaga en profitait pour s’enfuir sans savoir que nous avions un tireur caché en embuscade qui le descendait à la carabine. Le chef de secteur l’achevait ensuite. On ne retrouvait jamais de cadavre à cause des chacals”. Mais, même s’il parlait en donnant le nom de sa mechta (groupe de maisons en Algérie où se cachaient les membres du FLN), il n’avait guère de chances de s’en sortir. Il était alors libéré par les autorités militaires qui menaient immédiatement des opérations commandos dans les endroits mentionnés. Le fellaga était alors abattu par les siens “pour avoir parlé”. 
Enfin, pour tenter de comprendre ces exactions, il faut mettre en parallèle le sort qui était réservé aux soldats français quand ils étaient faits prisonniers par les indépendantistes.

Un encadrement lamentable
Dans un courrier qu’il a écrit (mais jamais envoyé) à l’attention d’une maman qui a perdu son fils en Algérie et qui voulait en savoir plus, Marc n’est pas tendre avec la hiérarchie militaire. “Je suis désolé mais nos 26 000 morts et 70 000 blessés ont été en partie victimes d’un encadrement lamentable”. Et d’illustrer ses propos avec sa propre expérience. Lors d’une mission entre Fedj M’Zala et Bône (aller-retour 460 km via Constantine dans la journée) avec seulement 2 autres hommes (le caporal Ruiz de Bordeaux et un radio), la mission a été stoppée à un contrôle routier. Le lieutenant commandant ce barrage leur a indiqué qu’ils auraient dû refuser cette mission : “c’est un suicide. Faites-moi plaisir, faites demi-tour”. Une attitude responsable parmi d’autres qui l’ont été beaucoup moins. Marc a été chauffeur. La planque, pensait-il, d’autant plus qu’à la nuit tombante, son chef de bord lui disait : “tu dois être fatigué, donne-moi le volant !” Les anciens lui ont alors expliqué que le siège passager, c’était celui du mort. Les fellagas savaient que c’était celle des officiers. C’était leur cible. 
C’est peut-être grâce à cette part d’inconscience que Marc ne se souvient pas avoir eu peur sauf quand il montait la garde. “La peur de me faire tuer au moment de la relève. La relève : un copain ou un fellaga ?” L’armée française comptabilisait en effet de nombreux soldats de souche algérienne. La plupart ont fini par rejoindre le FLN mais pouvait-il en être autrement ? “J’en avais un comme chef de section. Lors d’accrochages, il m’interdisait toujours de tirer sous prétexte qu’on allait se faire repérer. En fait, il protégeait ses frères. J’ai remis alors mon FM au colonel qui m’a immédiatement nommé chef de section avec 30 hommes sous mes ordres”.

Baptême du feu au bout de 15 jours
Marc Fessard a connu son baptême du feu seulement 15 jours après son arrivée. “Nous sommes partis au contact dans une mechta et nous nous sommes fait allumer par une arme automatique”. Deux blessés légers côté français très vite évacués par un H21C, l’hélicoptère banane qui pouvait transporter dans sa version sanitaire 12 brancards. Quatre morts du côté FLN après le tir depuis la base de 2 obus de 105. “On entendait les arbres crépiter”. D’autres accrochages vont suivre. “Le 23 août au djebel (ndrl : désigne une montagne ou un massif montagneux) Babors en Petite Kabylie, nous nous sommes fait repérer. Dès les premières rafales, nous avons déploré 3 morts. J’ai vite compris que nous étions dans une position très délicate. Heureusement, la légion était à Sétif et au repos. Elle est intervenue en hélico renforcé par 2 avions T-6 G venu de la base de Telergma, près de la frontière tunisienne. Bilan : 32 fellagas au tapis”.
Dans cette macabre comptabilité, Marc cite encore “14 de nos gars, abattus dans leur lit, le 22 novembre par la harka de Djemilla. En désertant, elle a emporté l’armement”.
D’autres souvenirs ressurgissent. “Si je sortais mon carnet de bord, j’aurais de quoi écrire un livre”. Et d’évoquer la ration du militaire “qui contenait 25 cl d’eau-de-vie par jour. Certains gars la vendaient, ce qui signifie que d’autres en buvaient 1/2 litre par jour. J’en ai vu des rapatriés sanitaires à cause de ça. Direction le Val-de-Grâce, dans un sale état”.
Marc est rentré en France le 20 juin 1960 à bord du Chanzy. “Avant de partir de là-bas, j’ai pleuré. Je n’ai pas compris pourquoi”. A son arrivée en France, “j’étais complètement dingue et personne ne m’a compris”. Il a fallu vivre quand même, sans doute en chassant les démons. Mais aujourd’hui, il en parle.

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