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Raconte-moi ton algérie
Raconte-moi ton algérie - ROGER MABIRE : “j’ai laissé mon fils, il avait un mois”

Plus de 1,3 million d’appelés ou rappelés du contingent ont passé de 6 à 36 mois en Algérie entre 1956 et 1962. Parmi eux, de nombreux agriculteurs (ou futurs agriculteurs). Roger Mabire, agriculteur retraité à Les Moitiers d’Allonne (50), se souvient.

Le 1er novembre 1954, le FLN (Front de Libération Nationale) engage l’insurrection et les hostilités en Algérie. Une trentaine d’attentats sont commis dont une dizaine de bombes qui explosent dans les rues d’Alger. Bilan : 10 morts. François Mitterand, ministre de l’Intérieur, déclare alors : “des Flandres au Congo, il y a la loi, une seule nation, un seul parlement (...). L’Algérie, c’est la France et qui d’entre nous hésiterait à employer tous les moyens pour préserver la France ?”
Mais cette “Toussaint rouge”, comme on l’a baptisée, ne fait guère causer dans les rues de Paris et encore moins dans les campagnes de France. Roger Mabire a d’autres chats à fouetter. A 22 ans et après avoir passé 18 mois au 3e Hussard d’Alençon (61), il est ce jour-là en permission libérable. Il rentre à Les Moutiers d’Allonne, dans le nord Cotentin (50), pour y exercer définitivement son métier d’agriculteur. Pour lui, ça en est fini des obligations militaires. Enfin le croit-il !

un mois après le baptême
Il se marie le 23 avril 1955 avec Madeleine. Voyage de noces à Lourdes (65) et devient papa l’année suivante. Mais lors du baptême de son fils, le 14 mars 1956, Roger n’a pas l’esprit à la fête. Les opérations de pacification en Algérie mobilisent désormais les rappelés. “Il m’aurait fallu deux enfants pour y échapper”, lâche-t-il. Le 17 avril, il reçoit des mains de la gendarmerie son ordre de mobilisation. “Ma femme était inquiète mais je n’ai jamais pensé que je pouvais rester là-bas”, se souvient-il. Il part le 19 en direction de Fontenay-le-Comte (85) mais ne débarquera en Algérie, après avoir revu sa femme et son fils une dernière fois à la faveur d’une permission, que le 3 mai.
Au sein du 3e Bataillon du 117e Régiment d’infanterie, Roger Mabire est chargé, à bord de son half-track avec bazooka à portée de main, d’ouvrir la route. “Mes copains ont pas mal marché, pas moi” s’amuse-t-il du coin des lèvres. Un sourire tout relatif. “On savait ce qu’on risquait quand on traversait les Gorges de la Chiffa”. Et si Roger n’a jamais sauté sur une mine, le 117e d’infanterie a déploré 14 morts dans ses rangs.

14 tentes bien alignées pour 14 cercueils
Chaque convoyage, c’était un half-track à l’avant, un à l’arrière et deux GMC au milieu. Au cours de l’un d’eux, à l’occasion d’une pause, un de ses camarades va avoir la curiosité de soulever la bâche du camion qu’ils escortent. A l’intérieur, stupeur : 14 cercueils destinés à 14 compagnons tués la veille. Au point d’arrivée, 14 toiles de tente parfaitement alignées attendaient leur livraison. “Nous n’étions pas très bavards dans ces moments-là”, avoue-t-il. Roger a perdu des amis dont “un gars avec qui j’avais fait mon service militaire à Alençon. C’est lui qui m’avait appris à conduire”. Tué, surpris par un fellagha. Pourtant Roger ne se plaint pas. “Au cantonnement, on était tranquille. On couchait à une trentaine par guitoune. Et, quand on partait en opération dans le bled pour trouver des suspects, mes copains crapahutaient pendant que je les attendais au volant de mon engin”. Accompagnés par la gendarmerie qui connaissait bien le terrain, ils faisaient bien souvent chou blanc. “On ne voyait pas beaucoup d’hommes, ou alors, d’un certain âge”. Des hommes perchés sur des ânes pendant que les femmes, nus pieds, portaient derrière de lourdes charges. “Je n’ai jamais vu le visage d’une femme arabe à découvert”, précise-t-il en aparté.

avec madeleine, on s’écrivait tous les jours
Mais ça en est une autre qui va constituer le fil rouge de cette tranche de vie, Madeleine, sa femme. Il va lui écrire tous les jours au point de se faire “chambrer” par ses camarades. Elle va lui répondre autant que possible. Il va la retrouver le 29 octobre. “Je revois encore le petit, dans les bras de sa maman, venu m’accueillir sur le quai de la gare de Valognes. Un très grand moment d’émotion”. Serrant très fort dans ses mains le porte-feuille qu’il a acheté là-bas, Roger ne retient pas la larme qui coule sur sa joue. Madeleine n’est plus là pour l’accompagner tous les 2 ans à Lourdes. Un pèlerinage où communient, autour de leurs secrets et souvenirs communs, des milliers d’anciens d’AFN (Afrique Française du Nord).
Presque 60 ans après, quel regard Roger jette-t-il sur cette guerre qui a mis autant de temps à dire son nom ? “L’Algérie française, ce n’était pas mon problème. Je me demande encore ce qu’on est allé faire là-bas. De la protection ? On protégeait surtout les intérêts des colons. Des colons qui ne faisaient rien pour encourager les arabes à travailler !” Et de conclure : “pourquoi le Maroc et la Tunisie ont-ils obtenu leur indépendance sans heurts et pas l’Algérie ? Je me pose toujours la question”. La réponse est peut-être dans la “France qui n’a pas de pétrole mais qui a des idées”.

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