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Xavier Beulin et la loi d'Avenir pour l'Agriculture
Sortir du court terme au profit d'une lecture stratégique de la Ferme France

A la veille de l'examen du projet de loi d'Avenir par le Parlement, Xavier Beulin souhaite que le texte soit amendé sur le statut de l'agriculteur, le volet interprofessionnel, les Groupements d'intérêt économique et environnemental et qu'il se dote d'une véritable ambition en matière de recherche et d'innovation.

© TG

Un commentaire général sur la présentation de la loi d'Avenir pour l'Agriculture, présentée par le ministre de l'Agriculture ?
Je rappelle tout d'abord que nous n'étions pas forcément demandeur d'une telle loi. On devient méfiant sur les grandes ambitions portées par les lois et qui ne trouvent pas forcément de traductions concrètes par la suite. Pour cette loi, nous n'avons pas de difficulté avec l'idée d'aborder des sujets de fond pour poser une stratégie d'avenir pour l'agriculture française, ni sur l'idée d'une agriculture performante. Mais quand même, nous sommes déçus sur plusieurs points. Quelques exemples : le sujet traité à travers le statut de l'agriculteur ne nous donne pas satisfaction. Il y a un besoin impératif à redéfinir ce qu'est un agriculteur, au regard de la Pac mais pas seulement. Il faut le faire aussi par rapport au contexte national avec en ligne de mire tous les dispositifs qui en découlent que ce soit d'ordre fiscal, de l'installation... Avec le GIEE, on sent une tentation de faire rentrer de nouveaux acteurs dans le monde agricole. C'est bien, mais il ne faudrait pas que cette ouverture remette en cause l'organisation globale et équilibrée de l'agriculture française. On ne peut pas simplement dire "on passe à autre chose" en minorant le rôle des acteurs actuellement en place. Ce qui doit prévaloir, c'est le fait que les porteurs présentent des projets viables et non des projets pseudo-agricoles. Restons un minimum rationnel quand même !

Juste avant la publication du texte de projet de loi, vous aviez évoqué des inquiétudes sur le rôle des interprofessions...
En effet, et elles subsistent entièrement. Le ministre propose que la représentativité soit basée plutôt sur les résultats des élections aux chambres d'agriculture. On quitte donc le domaine de la représentativité économique qui est affirmée, elle, dans les textes européens. Si l'on ne conserve pas la notion de stratégie de filière et de leur organisation, on remet en cause leur fonctionnement et on perd une partie de l'identité de l'agriculture française. Nous sommes attachés à un travail basé sur le volontariat des familles et des collèges des interprofessions avec des ambitions communes. Nous avions dit, à un moment donné, que nous étions favorables à faire entrer les minoritaires dans les interprofessions mais il ne faut pas que cette ouverture corresponde à un blocage systématique de leur fonctionnement. De plus, nous sommes dans une période, c'est une évidence, où la ressource financière publique se tarit. Les interprofessions travaillant collégialement, de façon librement partagée et apportant des réponses collectives lorsque les réponses individuelles ne sont pas possibles, ont su dégager des ressources en ce sens. Un exemple où les interprofessions doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle : le besoin de construire de vrais indicateurs en matière de connaissance et de compréhension des marchés afin de mieux négocier ensuite. C'est pleinement le rôle des interprofessions et cela vaut également pour la promotion.

Autre point d'inquiétude, tout ce qui touche à la recherche, à l'innovation, à l'investissement. Quel constat faites-vous ?
La aussi, grande déception. Ce qui nous paraît singulier, voire étrange, c'est de parler de loi d'Avenir sans parler des termes qui y sont normalement rattachés : recherche, innovation, investissements. Il ne suffit pas de dire : "regroupez-vous à quelques-uns dans votre partie du territoire et de ce fait votre territoire deviendra pôle d'excellence ! " Ça ne se passe pas vraiment comme ça. Si l'on veut une économie plus circulaire dans le domaine agricole et si l'on veut rester dans la course au niveau compétitivité internationale, cela passe nécessairement par une recherche très active. Or, derrière l'idée d'agroécologie, nous craignons de ne retrouver que le "small is beautiful", (ce qui est petit est bien). Mais que constate-t-on à l'international, et pas seulement en agriculture ? Les pays qui gagnent des parts de marché sont ceux qui s'appuient sur de la recherche, de l'innovation et des investissements conséquents. Même sur les aspects de restauration et de réhabilitation de la confiance dans la qualité alimentaire et environnementale, cela passe de fait par de la recherche. Plus généralement, nous avons l'impression que la mission dévolue à la recherche publique dans notre domaine est de moins en moins claire. Il faut également sortir des oppositions systématiques entre différents aspects de l'agriculture (bio/conventionnel, éleveur/céréalier, circuit court/circuit long...) et avoir une approche qui fait de la diversité un pôle d'excellence en recherchant le meilleur pour chaque segment de marché. Il manque vraiment une dimension dans ce projet de loi : quelle lecture stratégique fait-on de la Ferme France et de chacun de ses grands secteurs ? C'est la première question à se poser et le premier travail à réaliser.

La loi d'avenir passera en Commission économique
à l'Assemblée nationale, début décembre, et le débat parlementaire débutera début janvier. Que comptez-vous faire dans ce laps de temps ?
D'abord, nous avons commencé à travailler et nous avons eu plusieurs rencontres avec des parlementaires. Il y a au moins quatre ou cinq thèmes sur lesquels nous comptons porter des amendements de fond auprès des groupes parlementaires. Il s'agit, notamment, du statut de l'agriculteur, des interprofessions, de la recherche-innovation, du GIEE et du foncier agricole. Nous comptons le faire en sortant d'une logique de court-termisme qui consiste à juxtaposer des sujets les uns aux autres et qui fait perdre de vue un objectif d'ensemble. Nous souhaitons le faire avec tous les acteurs de la sphère agricole, y compris la grande distribution. Au-delà des points de friction existants et connus, nous devons être capables de dégager une ambition commune pour l'agriculture française. Mais il faut que tous les acteurs soient co-responsables. Au regard de la situation du pays, c'est le moment ou jamais.

Des souhaits pour les mois à venir ?
Nous devons tous travailler à un retour de la confiance, dans le pays en général mais aussi dans notre secteur, à redonner le goût du travail et de la création. À notre avis, cela passe par une grande réforme fiscale et sur les charges pour remettre l'économie française en situation d'équité par rapport aux pays voisins. Il faut aussi travailler sur tous les postes de compétitivité sur lesquels on peut encore se donner des marges de manoeuvres. Il faut aussi que les filières se réapproprient ces sujets, chacun dans son rôle, pour que le Made in France ait un sens. Nous pensons que, poste par poste, il faut tout analyser pour savoir là où nous sommes performants. Nous restons bien évidemment attachés à une agriculture à taille humaine mais attention à ne pas arriver à une atomisation du secteur, qui serait au final contre-productive.

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