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Economie
Tout augmente, les charges explosent

Depuis plusieurs semaines, les éleveurs tirent la sonnette d’alarme face à l’évolution des charges. Fuel, engrais, aliments... les factures s’alourdissent. Rencontre avec des producteurs de lait conventionnel, sans OGM ou en lait, des producteurs de volailles, porcs ou encore de viande. 

Des éleveurs témoignent
© DR

Pascal Fauchon, production laitière
" On doit continuer à nourrir nos vaches "

Pascal Fauchon, installé depuis 1999, tout d’abord en individuel et aujourd’hui en Gaec, à Le Mesnil-Garnier, s’inquiète face « aux charges qui ont explosé », assure-t-il. Spécialisé dans la production laitière (125 vaches, 1,2 million de litres de lait), il voit par exemple l’aliment azoté passer de 369 euros/tonne en février 2020 à 415 € en février 2021. Depuis le début de l’année, les prix continuent de flamber. Pour le maïs grain, il passe de 173€/t à plus de 300 €/t. Autre poste important : le fuel. A période identique, il est passé de 517 €/1 000 l à 736 €. Sur une année, le montant total est tout simplement conséquent. L’ammonitrate prend en une nuit 75 €/T. 


Une année propice à l’herbe
Face à ces chiffres en perpétuelle hausse, « on doit tout de même continuer à nourrir nos vaches pour qu’elles continuent de produire et surtout être en bonne santé ». Cette année a été propice à la récolte d’herbe. « Ce fut une année exceptionnelle avec cinq coupes d’ensilage », se réjouit l’éleveur. Mais il relativise aussitôt. « Le maïs se fait en une seule fois et l’herbe cette année en cinq fois », explique-t-il. Il faut donc prendre en compte le temps, le carburant nécessaire... « Nous avons mis davantage d’herbe dans la ration, mais cela a des limites surtout dans un système robotisé. Il faut un correcteur azoté pour avoir la bonne ration », indique-t-il.   
Si une augmentation de 20 €/1 000 l a été enregistrée du côté du prix du lait à période égale en un an, la différence ne suffit pas pour dégager des marges ou tout du moins rester à l’équilibre. « Il manque 30 €/1 000 l », lâche Ludovic Blin, président de la section lait à la FDSEA de la Manche. « Il ne suffit pas de dire de manger des produits de qualité, il faut bien les payer. Le blé augmente, le prix de la baguette connait une hausse. Mais il n’y a que l’agriculteur qui a le droit de vendre à perte. Ce n’est pas normal. Or, c’est vraiment dans notre ADN de nourrir la population », conclut-il.  

Benoit Fontaine, production laitière bio
" Si le lait s’écoulait davantage, nous aurions plus de revenu "

En production laitière bio, le lait ne trouve plus suffisamment de débouchés. Par conséquent, le prix payé au producteur baisse. Benoit Fontaine, installé en 1996, rejoint par son épouse, Delphine en 2009, l’a constaté. Il a franchi le pas du bio parce qu’il voulait être plus en phase avec la nature et arrêter de travailler pour différents prestataires. « Désormais, le classeur de factures a diminué de moitié », confie Benoit.


Peu de charges, plus d’autonomie
Aujourd’hui, ils cultivent 7 ha de maïs épis pour apporter de l’énergie au lieu de 30 ha de maïs ensilage, et favorise le pâturage dynamique. « Le silo est fermé de mai à octobre », indique l’éleveur. Si le droit à produire est de 628 000 l, ils atteignent un peu plus de 82 %. « On fait le choix d’être en autonomie alimentaire, d’acheter zéro aliment, zéro engrais, juste des minéraux », avance-t-il. Les produits vétérinaires sont rares parce qu’ils ont opté pour la phytothérapie. Les charges mécaniques sont également réduites parce qu’ils délèguent beaucoup de travaux au champ. « Nous ne voulons pas investir dans le matériel. Nous avons juste acheté une faneuse plus large cette année. Et nous investissons dans des chemins », note-t-il. 


Une régularisation moins importante
Si le couple n’est pas impacté comme les autres productions en matière d’augmentation de charges, ils subissent tout de même une réduction de leur marge en raison d’un prix du lait en net recul. « Pour le mois de septembre, nous sommes en prix de base à 390 €/1 000 l. C’est identique à l’année passée. Sur les 12 derniers mois, la moyenne monte à 440 €/1 000 l. Nous avions eu une régularisation intéressante chez Biolait en fin d’année dernière. Vu le contexte, cette année, cela ne sera pas la même chose. Si le lait s’écoulait davantage, nous aurions plus de revenu », reconnait Benoit Fontaine. 


Des répercussions sur les ETA
L’augmentation du carburant ou encore de l’électricité n’est pas pour autant anodine. L’exploitation devrait la subir. Et les éleveurs s’attendent à une répercussion notamment sur les factures des entreprises de travaux agricoles. Aujourd’hui, Benoit et Delphine Fontaine bénéficient des aides à la conversion. Des aides qui s’arrêteront en même temps que des échéances d’emprunt. Par ailleurs, ils font évoluer leur troupeau. Partis de la race Prim’Holstein, ils ont procédé à un premier croisement avec la Jersiaise, et maintenant avec la Fleckvieh dans l’objectif d’amener des taux, de la rusticité, du petit gabarit, et une bonne reproduction. Un choix qui devrait aussi se traduire en euros sur le prix du lait. 

Laurent Fiquet, production bovine
" On va réduire les apports d’engrais"

Depuis 14 ans, Laurent Fiquet s’est installé à Saint-Germain-sur-Sèves en vaches allaitantes. Son père est dans le Calvados, au nord de Caen, à Amblie. Aujourd’hui, ils ont un troupeau de 160 Charolaises. « Mais nous sommes montés jusqu’à 220 mères », explique l’éleveur. La cause à la dernière PAC. « On était plafonné. Alors on a réduit les effectifs », ajoute-t-il. Des prairies ont laissé place à des cultures. «Tout était en herbe quand je suis arrivé. Et aujourd’hui, c’est pratiquement 50/50 sur les deux sites », explique-t-il.


+ 78 % pour l’ammonitrate
Cette année, il analyse de près ses charges. Et pour cause, l’augmentation des prix change la donne. En premier lieu : le fuel. « On est passé de 650 à 850 €/ 1 000 l. Alors, on en a commandé moins. Mais pour 5 000 l, la facture est d’ores et déjà de 1 000 € supplémentaires », souligne Laurent Fiquet. Au total, ce sont 25 000 l de fuel qui sont nécessaires pour travailler sur les deux sites. Concernant les aliments, les prix se maintenaient depuis trois ans. Mais entre le début de l’année et cet automne, c’est 22 €/T pour l’Amiplus, 24 €/T pour le colza… Les hausses sont fulgurantes en ce qui concerne les engrais telle que l’ammonitrate qui passe en quelques mois de 198 €/T à 683 €/T. Ce qui équivaut à une hausse de 78 %. Le complet fait un bond de 34 %. « D’une année à l’autre, il faut 6 000 € de plus pour la même facture d’engrais », se désole le papa. 


Diminuer les aliments et les engrais
Pour la famille Fiquet, la diminution des aliments et la réduction des apports d’engrais restent la solution pour passer ce cap. « La Covid a fait beaucoup de mal, sans oublier la spéculation qui fait grimper les prix », confie Laurent. Ces augmentations de prix concernent aussi les bâches à silo, les barrières, la ferraille... « Tout flambe », lâche Laurent.
Ce n’est pas les 10 centimes d’euros/kg de différence qu’il décroche quand il vend des animaux qui vont lui permettre d’absorber l’ensemble des charges.  
 

Nathalie Rochefort, production porcine
" Travailler à perte, ce n’est pas la peine "

Installée en 1997, d’abord avec ses parents, et désormais avec son mari, Nathalie Rochefort conduit à la fois un atelier lait et un atelier porc à Le Mesnil-Rainfray. « Mon père a toujours fait du porc », avance-t-elle. Alors, elle s’est attachée à cette production. Dès 1998, un atelier neuf en naissage pour 120 truies a été construit sur la ferme. Elle est déjà descendue à 90 truies et s’interroge à diminuer encore, par manque de temps (mère de trois enfants et maire déléguée de sa commune, en charge des affaire scolaires au sein de la commune nouvelle Juvigny-les-Vallées) et surtout en raison des charges qui grimpent sans compter la vétusté des bâtiments. 


Plusieurs crises
Depuis qu’elle s’est installée, Nathalie Rochefort a connu plusieurs crises. « Les temps forts sont courts. Et au final, on n’est pas gagnant », assure-t-elle. C’est notamment le cas pour le prix de vente en ce moment. A date similaire, le porc est passé de 1,379 €/kg en 2020 à 1,227 €/kg au mois d’octobre 2021. En face, les charges connaissent des hausses. C’est le cas de l’aliment complet qui croît de 250 à 290 €/T, de l’aliment pour la finition qui passe de 242 à 280 €/T, pour la maternité qui évolue de 295 à 358 €/T ou encore pour les gestantes qui atteint 302 € contre 238 €/T l’année précédente. Au final, les hausses varient entre 15 et 26 %. Vu le cours du blé, elle reste convaincue que le prix continuera d’évoluer. Pour elle, « travailler à perte, ce n’est pas la peine », confie-t-elle. Concernant les produits vétérinaires, elle favorise l’aromathérapie ou l’homéo thérapie.  


Le choix d’investir ou pas
Désormais, la réflexion se porte sur le devenir de son atelier porcin. « Sois je rénove et je réinvestis, sois je supprime le naissage et garde uniquement l’engraissement », confie-t-elle. Certains bâtiments seront amortis d’ici 2026, conduisant à faire disparaitre l’annuité de 800 € /mois. A 47 ans, elle souhaite réaliser des études pour faire les bons choix. D’ores et déjà, avec son mari, elle a décidé de couvrir en panneaux photovoltaïques un bâtiment de l’exploitation. « En 6 ans, c’est rentabilisé, et ce sera uniquement pour de l’autoconsommation », précise-t-elle. Ceci dans l’objectif de réduire la facture d’électricité, aujourd’hui de 1 500 €/mois.
 

Nathalie et Pierrick Dallain, production avicole
" On subit la flambée des céréales"

Nathalie et Pierrick Dallain sont installés sur la commune Ducey-Les Chéris, lui en 1997 et elle en 2000, année où le premier poulailler est sorti de terre. S’ls ont produit du lait pendant plusieurs années, ils ont décidé de se consacrer à la volaille. Deux nouveaux poulaillers ont été construits en 2012. Ce qui permet aux éleveurs d’atteindre 4 350 m2 de poulailler. Le travail ne manque pas mais les éleveurs s’épanouissent dans leur travail, d’autant plus qu’ils produisent 30 ha de maïs grain et 15 ha de céréales. 


L’OP fait le tampon
Pour autant, l’augmentation des charges les interpellent. A commencer par le gaz. Il faut compter 50 €/T, ce qui équivaut à une dépense annuelle de 2 000 € supplémentaire. C’est également le cas pour l’électricité. La dépense est estimée à 738 €/mois. « Il faut 31° à l’intérieur des bâtiments », avance Nathalie. Pour le moment, la flambée des céréales est absorbée par l’OP volailles. Mais jusqu’à quand ? Telle est la question que le couple Dallain se pose. « Le groupement essaie de maintenir le contrat », ajoute-t-elle. L’augmentation des céréales a déjà eu un impact sur le prix d’achat des poussins et demain cela risque d’être sur la production des poulets, sachant qu’il faut 2 500 T par an pour l’exploitation de Nathalie et Pierrick Dallain. « Il n’y a pas le droit à l’erreur », affirme Nathalie.


30 000 €/bâtiment
C’est sans compter les évolutions de la réglementation. Le nombre de poulets au m2 a diminué. « Or, les charges fixes sont les mêmes », dénonce Pierrick. Et c’est sur les derniers jours que les éleveurs dégagent leurs marges. Dans moins de trois ans, les bâtiments devront être équipés de fenêtres pour laisser entrer la lumière naturelle, de perchoirs... « C’est un coût de 30 000 €/bâtiment », indique Pierrick. Mais le couple continuera à faire évoluer leur structure pour que « les poulets ne soient pas malheureux », concluent-ils.

 

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