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Élections municipales
Un défi de représentation pour les agriculteurs

Les élections municipales des 23 et 30 mars constituent un véritable défi de représentation pour les agriculteurs français. D’une part, ils sont de moins en moins présents dans les organes décisionnels des communes. D’autre part, les communes rurales se sentent de plus en plus déshéritées dans le contexte économique et social d’un pays marqué par la mondialisation, la concentration de la modernité sur les villes et la réduction des dépenses publiques et des transferts financiers vers la ruralité. Enquête et interviews.

Le président des entrepreneurs de travaux agricoles (FNEDT), Gérard Napias, s’inquiète de voir les 
intérêts agricoles de moins en moins défendus dans les communes. “La circulation routière des engins agricoles devient de plus en plus difficile. Les aménagements routiers et urbains ne prennent pas en 
compte le gabarit des machines”, regrette-t-il. “Ralentisseurs, chicanes, écluses, coussins, rond-point et autres installations destinées à contraindre les usagers à ...
Le président des entrepreneurs de travaux agricoles (FNEDT), Gérard Napias, s’inquiète de voir les
intérêts agricoles de moins en moins défendus dans les communes. “La circulation routière des engins agricoles devient de plus en plus difficile. Les aménagements routiers et urbains ne prennent pas en
compte le gabarit des machines”, regrette-t-il. “Ralentisseurs, chicanes, écluses, coussins, rond-point et autres installations destinées à contraindre les usagers à réduire leur vitesse fleurissen
© TG

L’initiative a créé une certaine surprise. Il y a quelques semaines, le
président de la FNSEA, Xavier Beulin, lançait un appel à l’ensemble du réseau syndical et aux agriculteurs en général. Il faut se présenter aux élections municipales.
Pour une organisation qui s’est toujours déclarée contre le cumul syndicalisme-politique, cela avait le goût du neuf. Mais c’est que le mandat municipal est particulier. Il concerne la vie quotidienne des agriculteurs et ruraux et il est souvent étiqueté apolitique. Mais surtout, la représentation du monde agricole dans ces instances locales est en péril. Les agriculteurs représentaient 37% des maires en 1983 et seulement 15,6 % au lendemain des élections municipales de 2008.
De fait, ils doivent aujourd’hui défendre leur place dans les communes et leurs instances de décision. C’est toute la capacité d’exercer leur métier qui est en jeu.
Le président des entrepreneurs de travaux agricoles (FNEDT), Gérard Napias, connaît bien ce problème. Il s’inquiète de voir les intérêts agricoles de moins en moins défendus dans les communes. “La circulation routière des engins agricoles devient de plus en plus difficile. Les aménagements routiers et urbains ne prennent pas en compte le gabarit des machines”, regrette-t-il. “Ralentisseurs, chicanes, écluses, coussins, rond-point et autres installations destinées à contraindre les usagers à réduire leur vitesse fleurissent partout en France et pénalisent la circulation des machines agricoles”.

Le quotidien d’un maire
Les conflits d’usage demeurent. Les témoignages sont légion. Il ne s’agit plus du problème du coq qui chante et réveil les néo-ruraux à 7 heures dimanche, mais surtout des problèmes de voirie et de difficultés d’exercer sa profession. Le quotidien d’un maire de commune rurale, ce sont souvent les oppositions entre agriculteurs et non-agriculteurs. “Nous avons souvent des plaintes l’été, lorsque nous épandons. Les gens se plaignent des odeurs, de ne pas pouvoir faire leur barbecue. Charge à nous de leur expliquer que ce que nous épandons est organique”, témoigne Christophe Buisset, président de la FRSEA Picardie et maire d’Aveluy, une commune rurale de 520 habitants, située au nord de la Somme. Au bout de son village, des maisons ont poussé, hélas trop près des silos de stockage des betteraves à sucre. “Nous les avions prévenus. On essaie de ne pas faire de chargements la nuit. Mais ils se plaignent parfois quand on passe tôt le dimanche matin”.
“Les gens se plaignent des routes sales quand on sort des champs, ou quand on sort les vaches. Mais ces mêmes personnes viennent nous voir quand il y a de la neige”, analyse Christophe Buisset qui reconnait que certains agriculteurs sont parfois peu conciliants. “Ils laissent parfois les chemins ruraux dans des états pas possibles et là je dois intervenir.”

Méconnaissance de l’agriculture
Plus au sud, c’est Jean-Luc Poulain, qui pourrait bien se trouver face aux mêmes enjeux. Jean-Luc Poulain, 56 ans, est très connu dans le monde agricole. Il a été président de chambres d’agriculture, de FDSEA et aujourd’hui il est président du Salon International de l’Agriculture tout en exploitant ses 136 hectares de céréales à Nointel dans l’Oise. Il se présente sous les couleurs UMP à la mairie de Clermont (Oise), à quelques kilomètres de chez lui. C’est une commune de près de 10 000 habitants tournée vers la capitale. Aujourd’hui, à part lui, il n’y a plus d’agriculteur dans la commune mais Jean-Luc Poulain compte bien offrir son “bon sens agricole”, notamment dans la gestion et l’équilibre des comptes de la municipalité. “Clermont est une des villes qui a les plus lourdes taxes foncières. L’argent public doit être géré comme de l’argent privé pour limiter les dépenses”. Dans sa ville et aux alentours, ce qui pose le plus de problèmes c’est encore la circulation des véhicules agricoles. “Quand je vois ce qui est fait dans certaines communes, les aménagements qui entravent complètement la circulation des véhicules agricoles… Et trois mois après, on démonte, car les moissonneuses, les ensileuses, les machines à betteraves ne passent pas et il faut bien trouver une solution pour que ça passe ! S’il y avait eu un agriculteur au conseil municipal, il l’aurait vu.”
Pour Jean-Luc Poulain, il y a une “méconnaissance affolante de l’agriculture. On est les rares à être en contact avec le vivant animal ou végétal et les concitoyens ne savent plus ce que c’est. Ils n’ont que des idées toutes faites”, ajoute-t-il.

Aéronautique ou agriculture
Des idées toutes faites et une image pas toujours favorable. A dix kilomètres d’Aveluy, l’usine Aerolia de Méaulte (80) fournit des fuselages d’avion, principalement pour Airbus. “Quand ils agrandissent l’usine ou allongent la piste d’atterrissage pour accueillir de plus gros avions, tout le monde trouve ça beau. Quand nous voulons agrandir les élevages de nos exploitations, nous avons de plus en plus de difficultés, regrette Christophe Buisset.
Pourtant nous faisons autant partie de l’économie que l’aéronautique”.
À Janneyrias, 1 500 habitants, en Isère, “les riverains demandent à ce que les chemins de lotissement soient interdits aux poids lourds et aux tracteurs”, regrette Jérôme Crozat, un jeune agriculteur qui se présente face au maire sortant. Comme d’autres, Jérôme Crozat essaie d’expliquer l’agriculture et parfois cela marche.  “Des gens se sont plaints d’un agriculteur qui a mis des cloches sur ces vaches, mais l’ambiance reste bonne. Quand il y a des fêtes, les gens sont contents de pouvoir nous solliciter. Il faut jouer le jeu.”
Reclinghem, petite commune du Pas de Calais, est passée de 140 habitants en 2001 à 230, aujourd’hui. La cohabitation se passe bien, assure Joël Rolin, cultivateur et maire. “Les arrivants ne viennent pas de loin, ils sont issus de milieux agricoles ou ouvriers, ils ne viennent pas d’une grande ville, explique-t-il. Ils se sont très bien intégrés. Je leur ai expliqué que la campagne, c’est sale et ça fait du bruit. Que notre travail est d’aller dans les champs et d’en sortir. Il faut surtout éviter qu’ils restent isolés, sinon ils repartent. On essaye de leur demander des coups de mains, de créer un esprit de famille.”

Don de soi
Quoi qu’il arrive, le travail d’un maire demande un certain don de soi pour faire cohabiter les populations. Roland Berthelier, 63 ans, de Biefmorin, “part pour un troisième mandat” dans son hameau de 78 habitants. Il est retraité d’une exploitation polyculture-élevage et laitière.
Il faisait également de la vente directe en circuit court. “Être maire de ma commune implique beaucoup de don de soi par rapport à la collectivité.” Dans son village du Jura, la population se renouvelle très vite et beaucoup de jeunes qui travaillent à Dole et Lons-le-Saunier arrivent.
“Beaucoup de familles qui faisaient le socle du village disparaissent doucement, les enfants sont partis à la ville.” Il n’y a plus qu’une exploitation agricole, celle de son fils. Il avoue que parfois s’il n’avait pas été maire, les conflits auraient été durs à gérer entre son fils agriculteur et les autres habitants. Il essaie de faire un vrai travail “de communication, d’abnégation. Quand les jeunes arrivent, il ne faut pas s’attendre à ce que ce soit eux qui fassent les premiers pas. Les gens arrivent en étant déconnectés de la campagne, des vraies réalités quotidiennes de la campagne. Ils recherchent de la tranquillité.” Roland Berthelier les accueille en offrant un apéritif le 14 juillet où chaque nouvelle famille est invitée à se présenter. “Il faut être dans l’équilibre relationnel d’un village, avoir beaucoup de souplesse. Parfois, on a affaire à des citadins purs et durs, ils arrivent à la campagne avec l’image passéiste de la campagne de l’agriculture de leurs grands-parents”. Les problèmes sont souvent autour des vaches qui mettent de la terre sur la route, la trayeuse qui fait du bruit ou encore quand l’agriculteur part avec le pulvé, “ils ont l’impression que le village va subir une attaque nucléaire.”

Communes pauvres
Les situations sont rendues plus difficiles lorsque la commune, comme c’est souvent le cas, gère un budget de misère. Viviane Alloin est maire depuis 2003 de sa commune, Sazeret, de 163 habitants. C’est une enfant du pays. Être une femme ne lui pose aucun problème au sein du conseil municipal. Elle a une exploitation 100 % élevage allaitant. La difficulté, c’est de gérer la pénurie de moyens. Les points d’échauffement sont par exemple l’entretien de la voirie alors que d’autres préfèreraient l’entretien de l’église. “On ne peut pas faire les deux, l’église, ça coûte cher !” La moitié de la population de son village est agricole. 6 agriculteurs sur 11 dans le conseil municipal. “C’est la façon de conduire qui fait la différence, moi, je privilégie le dialogue.”
Hubert Trancart, retraité d’un GAEC polyculture élevage, maire d’Omécourt dans l’Oise (170 habitants), président de l’intercommunalité Picardie verte (89 communes) est face au même type de problème, la pauvreté. “Dans les communes très rurales, il y a forcément un turn-over important, explique-t-il. La population change plus vite. Avant, il y avait un socle d’agriculteurs, de salariés. Les gens qui achètent des maisons maintenant sont souvent sans emploi. Souvent dans les intercommunalités rurales, le souci c’est les recettes. Les gens sont habitués à payer peu, on ne peut pas les taxer plus. On gère, on assure les dépenses obligatoires. Mais le principal problème reste la voirie qui coûte cher. Les matériels agricoles sont plus lourds et vont plus vite. Les accotements ne tiennent pas.” Autour de sa commune, d’autres maires ont fait de gros investissements dans la voirie, avec les ronds-points, des ralentisseurs... Mais lui ne fait pas ça “si c’est pour tout défaire après.”

Un monde rural à défendre
“Il y a de plus en plus de gens seuls, des femmes d’agriculteurs ou d’artisans, qui se retrouvent avec des petites retraites, des femmes seules avec enfants, observe Christophe Buisset dans la Somme. Il y a une vraie misère à laquelle nous avons du mal à répondre. Le budget de notre CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) est de 5 000 euros par an, ça ne va pas loin”. Sa commune dispose d’un budget de 400 000 euros pour 520 habitants, qu’elle dépense pour la moitié en salaires, “une secrétaire de mairie, des Atsem (agent spécialisé des écoles maternelles, ndlr), un garde municipal. Il ne reste pas grand-chose pour les travaux d’assainissement, les services à la personne”. Dans le Tarn, à dix kilomètres de Castres, la commune de Jonquières, 500 habitants, ne dispose même pas de budget pour son CCAS. “Nous n’avons pas les ressources”, explique Jean Pierre Lencou, maire et exploitant en polyculture-élevage. Là-bas, pas de poste, ni d’artisan. Seuls un boulanger et un épicier ambulants passent dans le village. “Il y a de plus en plus de besoins en termes de service à domicile pour maintenir les personnes âgées à domicile”, observe-t-il. Mais les services, privés ou publics, se font rares.

Services médicaux
Dans le Cantal, la commune de Maurs, 2300 habitants, est en proie à un phénomène de désertification médicale, constate  Christian Rouzière, éleveur de bovins et maire. Elle ne dispose que de trois médecins dans sa Maison médicale, après qu’un médecin a récemment décidé de quitter la commune au bout de trois ans de service. Quant à internet, nombreuses sont encore les communes qui attendent le haut débit. En Isère, Jérôme Crozat attend toujours l’arrivée de ce haut débit qui permet un usage professionnel d’internet. “Nous sommes pourtant à 20 kilomètres de Lyon. Certains riverains l’attendent pour accéder aux chaînes numériques. En attendant, ils achètent des antennes paraboliques.” Le développement des besoins en services à la personne peut aussi être vu comme une opportunité pour les agriculteurs, analyse Christian Buisset dans la Somme. “Pourquoi ne pas imaginer un accueil de personnes âgées isolées à la ferme? Cela permettrait aux conjointes de rester sur l’exploitation.”
De fait, des solutions, il y en a, évidemment. Mais cela demande de l’engagement et du temps. “La plus grosse difficulté que je rencontre, c’est de me dégager suffisamment de temps, note Christian Rouzière. Pour une commune de la taille de Maurs, la fonction de maire nécessite un temps plein”. Cela ne l’empêchera pas de se représenter cette année.

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