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Témoignage
Témoignage d'un éleveur : "J’ai encore douze ans à faire et je suis amer"

Nous avions rencontré Eric Inger à son installation à Saint-Ouen-le-Pin, dans le Calvados en 2008. Après une quinzaine d’années sur son exploitation laitière en AOP, l’éleveur a connu des difficultés liées à des investissements importants et des soucis de santé. Aujourd’hui, en 2023, il s’interroge sur l’avenir de son exploitation. Un témoignage qui fait écho au mal-être en milieu agricole.

Pour une ferme laitière aux herbages vallonnés, à Saint-Ouen-le-Pin, en plein cœur du Pays d’Auge en Normandie, à quelques centaines de mètres de l’ancienne ferme de ses grands-parents, Eric Inger, alors âgé de 34 ans, décide de dire au revoir au garage Peugeot dans lequel il travaillait jusqu’à lors. Nous sommes en 2008, « j’étais plein d’énergie et de projets. J’étais tout simplement motivé », se souvient l’éleveur, 50 ans aujourd’hui, en 2023.

Investir

Marié et père de deux enfants, il embarque sa famille dans sa passion pour l’élevage lui venant de ses grands-parents. Petit à petit, le cheptel qu’il a repris, composé à 100 % Prim’Holstein laisse place à une majorité de Normandes. Au bout de six mois d’installation, il obtient la certification AOP, pour ses 300 000 l de lait livrés à Graindorge. « Le matériel agricole, la salle de traite, n’étant plus aux normes, et les logettes dans lesquelles mes génisses se coinçaient… je me devait de les remplacer », détaille Eric Inger, qui a fait construire une maison neuve au début de son installation afin de pouvoir habiter sur la ferme.

L’exploitation d’Eric Inger aujourd'hui, c’est…
65 à 70 Normandes et Prim’Holstein
365 000 l de lait, en AOP, transformés chez Graindorge
1 robot de traite Lely d’occasion
67 ha, dont 18,5 ha de maïs, 2 ha de luzerne, 3 ha de trèfle et le reste en prairie
1 agent de remplacement de manière occasionnelle
48 360 € d’excédents brut d’exploitation

Il a investi 340 000 € dans l’achat de la ferme, dont les « DPU (droit au paiement unique) pour 48 000 € et 30 000 € pour la référence laitière, qui n’est désormais plus d’actualité. J’ai acheté du vent ! » Moins de dix ans après son installation, il a aussi investi 350 000 € dans la création d’un nouveau bâtiment. « Ces travaux, lorsqu’on s’installe seul, hors cadre familial, on ne les anticipe pas tous », reconnaît-il.

Les douze travaux d’Eric

Le bâtiment principal est quasi terminé. Il abrite le robot de traite – acheté reconditionné pour un montant de 110 000 €, en 2017 – les logettes, le tank, une nurserie et un bureau. L’accès au pâturage se fait par une porte automatisée. Autour, les prairies, un silo de 2016 – 35 000 € d’investissement. Hormis la charpente du bâtiment, les travaux ont été réalisés avec l’aide de la famille et des amis. « Il fallait économiser. J’ai eu de la chance d’être aidé par mes proches car, sans eux, je n’aurais pas eu cet outil de travail », explique Eric Inger, tombé malade durant cette période.

« N’étant pas du milieu agricole, installé hors cadre familial, j’ai fait des choix différents, peut-être pas les meilleurs », partage Eric Inger, éleveur laitier.

« L’éleveur n’a la main sur rien »

Le surmenage, l’accumulation d’investissements, le productivisme, le manque de main d’œuvre et l’isolement ont eu raison de la santé de l’éleveur, comme celle de nombreux autres agriculteurs français. « J’ai encore douze ans à faire. Je suis amer. Amer vis-à-vis de nos politiques, des lois sans queue ni tête, de la Cour des comptes, de l’administration, de la pression sociétale, déplore Eric Inger. On voit en général le bon côté des exploitations agricoles, les grandes unités de méthanisation. Il y a de supers projets, je ne dis pas le contraire. Mais ce n’est pas la majorité des agriculteurs et je pense que les citoyens lambda ne se rendent donc pas compte des vraies difficultés du monde agricole. »

Agri’ecoute
Un service d’écoute dédié au monde agricole et rural est en place 7j/7 et 24 h/24 par téléphone au 09 69 39 29 19 (prix d'un appel local) ou par tchat sur agriecoute.fr

A son installation, Eric produisait 321 000 l de lait contre 380 000 l aujourd’hui. « Je produis davantage de lait mais les factures ont grimpé. Le carburant : 8 000 € l’an dernier contre 5 000 € en 2008 et l’électricité, on est passé de 3 000 € à 8 000 €. Il n’y a pas d’évolution et je ne suis pas devenu paysan pour être chaque mois à découvert. Tout augmente, les prix sont fixés à l’avance comme le prix du lait. L’éleveur n’a la main sur rien. »

Poursuivre ou arrêter

Il ignore encore s’il poursuivra son activité ou non. Par conséquent, Eric Inger a décidé de faire estimer sa ferme. Le couperet est tombé : environ 450 000 €, c’est le montant de l’estimation effectuer par « certains organismes dont les banques qui se réfèrent à 1 € du mille litres de lait. » Contre plus de 600 000 € d’investissement à l’époque, « le compte n’y est pas. » Il lui reste encore une dizaine d’années pour s’acquitter de la totalité de ses emprunts. « Je vais devoir payer minimum jusqu’à la retraite. » Soit il créé une EARL pour trouver un meilleur équilibre, soit il arrête. « Je suis indécis et j’aimerais que les choses bougent, que le milieu agricole soit réellement reconnu à sa juste valeur. Le plus important, pour le moment, c’est mon troupeau et son avenir. Ce que je fais ensuite n’importe pas », indique l’éleveur, qui espère trouver la meilleure solution possible.

Parole de la FDSEA sur le mal-être agricole
La FDSEA du Calvados est au service de tous les agriculteurs du département et en particulier ses adhérents. Elle sert d’intermédiaire entre l’administration, les collectivités, la société civile et les agriculteurs quand il y a un litige, mais aussi dans une communication positive d’explication de nos métiers. Par son réseau régional et national, la FDSEA défend sans relâche l’importance de l’élevage et de l’agriculture auprès de nos concitoyens. Récemment, le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, a rencontré le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, pour lui demander une explication de texte sur le rapport publié en mai 2023 pointant l’élevage. Les agriculteurs ne doivent pas rester seuls, je les encourage à se syndiquer et en particulier à la FDSEA. Le seul moyen de peser, c’est d’être regroupé collectivement », rapporte Xavier Hay, président de la FDSEA du Calvados.
 

Un point sur le cinquième quartier
« C’est une aberration que ce cinquième quartier ne soit pas payé aux éleveurs. Encore une incohérence de plus », regrette Eric Inger, éleveur laitier. Chez les bovins, le cinquième quartier concerne les abats rouges (foie, cœur), les abats blancs (tête de veau, pied de veau), des tissus comestibles (intestins, estomac) et non comestibles (onglons, cornes). « Il n’y a en effet pas de transparence sur ces parties de l’animal, mais on sait que tout se vend. Cela viendrait, peut-être, du fait qu’à une époque les abattoirs se payaient avec ça », explique Daniel Courval, président de la section bovine de la FRSEA de Normandie.
 
« Les éleveurs seuls ne suffisent pas »
« La langue de bœuf, on la retrouva à 15 € environ le kg, les abats rouges représenteraient 278 millions d’€ de CA à l’année, à la sortie de l’abattoir, tandis que le suif représenterait 43 millions d’€. L’exemple le plus criant », indique Danier Courval, s’appuyant sur une étude de FranceAgriMer de 2013. Au final, l’ensemble de la valorisation du cinquième quartier représenterait 6 % du prix de la viande à l’entrée de l’abattoir pour les porcs et les ovins, 8 % pour les gros bovins et 15 % à 16 % pour le veau. « Là-dessus, les éleveurs ne récupèrent rien. Quand on met ce dossier sur la table, on a de grosses retenues. Les éleveurs seuls ne suffisent pas pour changer les choses. Il faudrait une mobilisation de toute la filière (bouchers, abattoirs... »

 

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