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Questions à Sébastien Amand président de la FDSEA de la Manche
FDSEA 50 : " Muscler le combat syndical sur le partage de la valeur ajoutée "

En ce début d’année, Sébastien Amand balaye l’actualité 2020 et dresse les enjeux 2021. Pour le président de la Fdsea de la Manche, la priorité reste un juste partage de la valeur ajoutée. Avec ou sans la Covid-19, le syndicalisme doit repartir au combat quitte à muscler un peu plus la parole et le geste.

Sébastien Amand, président de la FDSEA de la Manche
Sébastien Amand, président de la FDSEA de la Manche
© DR

>> Quel bilan syndical tirez-vous de l’année 2020 ?
Le contexte de confinement dans lequel nous avons évolué en 2020 a été extrêmement particulier. Syndicalement, notre leitmotiv, c’est de se voir et de se causer. Alors, après plus de 60 jours de disette, notre réflexe d’éleveur a d’abord été de gérer nos affaires courantes, même si la vie dans les exploitations ne s’était pas arrêtée pour autant durant cette période, plutôt que de penser « syndicalisme ». Evidemment pour nous, Fdsea, remobiliser les troupes derrière, c’est plus difficile. Beaucoup ont fait contre mauvaise fortune bon cœur considérant que d’autres secteurs d’activité étaient plus en souffrance que l’agriculture. Pour autant, si on regarde toujours ceux qui sont plus à plaindre que nous, on n’avance pas. Et moi, ce que je regarde en ce début d’année, ce sont les marges 2020 qu’ont faites la grande distribution et un certain nombre d’outils de transformation, que ce soit en lait ou en viande.  

>> La juste répartition de la valeur ajoutée ne raisonne toujours pas comme monnaie sonnante et trébuchante dans les trésoreries des exploitations ?
Il en manque clairement dans la poche des éleveurs. Je veux bien entendre que, concernant l’agroalimentaire tourné vers l’export, 2020 a été difficile, mais il reste quand même le marché intérieur. Certes, avec le confinement, les habitudes de consommation ont été perturbées. Pas de restaurant administratif le midi, pas de restaurant en famille ou entre amis le soir ou le week-end, mais les Français ont continué à manger à leur faim en se tournant un peu plus vers les GMS (Grandes et Moyennes Surfaces). Autant de marge a été engrangée, par qui ? Je ne sais pas, mais certainement pas par les éleveurs. Quand on nous parle de rémunération des produits alimentaires, que ce soit pour le lait ou les viandes, on nous montre toujours le verre à moitié vide. Le verre à moitié plein, tout le monde l’occulte.

>> La Manche, un département à bovins. Quid de 2020 et quelles perspectives 2021 ?
Vu l’état dans lequel nous étions en début d’année, nous n’avions pas les moyens de perdre 15-20 euros/1 000 litres. 2020 ne fait donc que passer et les perspectives 2021 ne sont pas bonnes avec notamment la hausse des matières premières alimentaires. Il ne faut cependant pas que considérer le prix du lait. La valorisation de nos produits viande, vache de réforme ou taurillon, a totalement dévissé. Et que dire des spécialisés viande, éleveurs allaitants et engraisseurs ? C’est une catastrophe, plus particulièrement pour ceux qui ont investi et ont des annuités d’emprunts à rembourser. Même les opportunistes disposant de fourrages en stock et de place dans leurs bâtiments, et alors que le prix du broutard a baissé, n’y vont pas. C’est significatif d’une conjoncture qui n’est pas tenable.

>> Quels sont les axes prioritaires 2021 de la FDSEA ?
Justement, il va falloir remettre les fers au feu sur la répartition de la valeur ajoutée. Sur l’axe « prix », on va devoir être plus vigilant, voire plus dur, que ce que l’on a été jusqu’à présent. On ne se laissera pas endormir par des axes nouveaux de valorisation de nos produits qui sont portés aujourd’hui par l’agroalimentaire notamment autour des signes de qualité.

>> Ça veut dire quoi au juste ?
Je suis excédé d’entendre, matin-midi-soir, toute cette sémantique sur le Carbon Dairy ou bien encore la HVE (Haute Qualité Environnementale). Ces nouveaux signes distinctifs supposent des investissements conséquents dans les exploitations et une gestion administrative supplémentaire pour l’éleveur, mais j’attends qu’on nous dise combien ça nous rapporte...
Si cela constitue une facilité ou une condition d’accès aux marchés pour les commerciaux de l’agroalimentaire, alors ils ont une valeur et un prix. Donc, avant de démarrer, je veux savoir combien je vais gagner. Malheureusement, pour l’instant, on nous rétorque « on verra bien après ». Ce à quoi je réponds : « pas question de faire plus pour rien ».

>> L’agriculture figure au menu du plan de relance. Vous en attendez quoi concrètement ?
Mon côté pessimiste me fait dire « qu’il est un peu trop tôt pour tirer sur l’ambulance », mais restons optimistes. Souhaitons que l’enveloppe financière déployée ne soit pas qu’un effet d’annonce. A ce jour, on ne sait pas grand-chose sur les conditions d’accès. Si elles sont trop contraignantes, le plan de relance, qui est autant un plan d’urgence, n’atteindra pas ses objectifs. J’attends donc, du côté des services de l’Etat, de la simplicité pour fluidifier les procédures.

>> Dans son rapport sur la gouvernance des chambres d’agriculture, Stéphane Travers constate que « la composition des collèges fait la part belle aux agriculteurs » et que le mode de scrutin « favorise la surreprésentation de la liste syndicale arrivée en tête ». Il propose d’associer davantage la société civile au délibéré et d’ouvrir les travaux du bureau aux organisations minoritaires. Vous partagez cette approche ?
Associer le consommateur en proximité de la production, via les Chambres d’agriculture, ne me choque pas. Tant mieux même ! On se plaint d’un déficit d’image de la profession, mais c’est parce que le consommateur au fil du temps s’est éloigné des exploitations. C’est donc peut-être un premier pas pour raccorder certains liens de confiance.
Concernant le fait minoritaire, je suis jeune élu de la liste Fdsea qui a remporté les élections et dispose à ce titre d’une majorité de gouvernance. Mais dans son fonctionnement, la majorité ne tourne pas le dos à ceux qu’on appelle les minoritaires et qui sont avant tout des éleveurs comme nous. Ils sont associés aux travaux de la Chambre, notamment à travers les pôles territoires, avec la liberté d’abonder ou d’affirmer leur différenciation sur chacun des dossiers. D’ailleurs et à ce titre, je n’entends guère d’expressions de frustration de la part de mes collègues de la minorité. Pour conclure, si problème il y a, mieux vaut l’entendre de leur bouche plutôt que de vouloir légiférer sur un faux problème. Je ne vois pas ce que cette recommandation vient faire là.

>> La révision du SDREA (Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles) normand risque « de faire passer l’installation au second plan, alors qu’il s’agit d’un enjeu prioritaire pour l’avenir agricole et alimentaire » considèrent certains. Vous leur répondez quoi ?
Il ne faut pas faire de politique avec l’installation. Nous avons maintenu les seuils de contrôle existants jusqu’alors. La surface à partir de laquelle un exploitant est soumis à autorisation reste ainsi à 70 ha. C’était le même chiffre que pour les deux anciens SDREA. Cette surface tient compte de l’ensemble des productions de l’exploitation. De même, les reprises de foncier à plus de dix kilomètres du siège sont soumises à autorisation. Nous avons décliné les priorités à partir de l’installation et des différentes situations d’agrandissement. Nous avons voulu favoriser une approche structurelle. Le foncier demeure un sujet passionnel et le texte peut susciter des craintes, mais ceux qui pratiquent régulièrement la politique des structures comprennent parfaitement la démarche. Regrouper des terres autour du corps de ferme, c’est aussi un facteur favorable à la transmission et donc à l’installation.

>> Sur le dossier de l’abattoir de St-Hilaire-du-Harcouët, les élus de la communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel Normandie pointent la filière qui n’aurait pas tenu ses engagements en n’apportant pas les volumes nécessaires à l’outil, c’est une réalité ? Faut-il conserver deux abattoirs dans la Manche ?
Il faut appréhender le sujet sous différents angles. D’abord regarder tous les antécédents qui trainent aux pattes des collectivités : St-Hilaire mais aussi Ste-Cécile qui font partie du contexte départemental. Par ce prisme, on peut se dire « on arrête », mais on risque de tourner le dos au consommateur alors que la loi Egalim a donné une impulsion aux circuits courts. Il faut évoquer aussi les PAT (Projets Alimentaires Territoriaux). Peu sont encore en place, mais sans les abattoirs de proximité, je ne sais pas comment faire. Certains répondront « Coutances », mais est-ce que les instances professionnelles, le syndicalisme dans sa globalité et la Chambre d’agriculture, doivent déployer une si grande énergie si nous n’avons pas la garantie de retour côté rémunération des éleveurs ? Avec un Jean-Paul Bigard, on sait comment ça va se passer. Bien au départ le temps de mettre en place les PAT mais après...
On a l’opportunité, à travers des abattoirs de proximité, de préserver de la valeur ajoutée. On peut donc imaginer, dans le sud Manche, un outil au service de « La Chaiseronne » ou des « Viandes Fermières », mais aussi à celui des éleveurs désireux de se lancer dans la vente directe. On navigue sur ce sujet à contresens de ce qu’attend le consommateur et de l’intérêt des éleveurs alors qu’il faut s’inscrire dedans. J’ai trop d’expérience de grosses boutiques multinationales type « Bigard ». Ces gens-là sont des ogres.
Quant aux reproches formulés par les élus considérant que les éleveurs n’ont pas joué le jeu, il faut bien considérer que la réputation de St-Hilaire, et bien avant la reprise en régie par l’agglomération, n’était pas excellente. Par ailleurs, l’agglo attendait un engagement sur quoi ?  Un volume ? Mais en contrepartie de quoi ? Pour quelle prestation de service ? Nous n’avons jamais eu de réponses à ces questions auxquelles, je le reconnais, il était difficile de répondre. Il fallait s’appuyer sur de gros apporteurs pour assurer la pérennité de cet outil dans cette configuration. L’éleveur lambda, ce n’est qu’une complémentarité qui contribue pour sa part à une forme supplémentaire de rentabilité économique.

>> On ne peut pas ne pas évoquer l’actualité juridique, la carotte de Créances est devenue une patate chaude ?
L’Etat a défailli. Dans le même pas de temps qu’il supprimait l’autorisation d’utilisation du dichloropropène, il devait interdire l’importation de carottes traitées avec ce produit provenant de pays tiers. C’est ce que la Fdsea avait exigé de Stéphane Travert alors même qu’il était encore ministre de l’Agriculture. Il a fait chou blanc.
Alors expliquer dans ces conditions aux producteurs qu’à La-Haye-du-Puits, on fait de la carotte sans dichlo, mais qu’on en trouve dans le magasin local, c’est à y perdre son latin. Sous leur nez, on les sacrifie tout en faisant prospérer la filière espagnole. Le consommateur ne peut pas s’y retrouver non plus et j’aurais aimé entendre leurs associations représentatives appeler au boycott des carottes ibériques quitte à en manquer dans les étals à certaines périodes de l’année.
In fine, je ne peux pas soutenir la suppression d’une dérogation d’utilisation d’un produit avec les incohérences qui vont avec d’autant plus que nous n’avons pas vu un sou du plan d’accompagnement promis pour cause d’inégibilité des producteurs.
Un responsable syndical ne peut pas cautionner une fraude, mais que répondre à ceux qui n’auront peut-être pas demain de quoi nourrir leur famille ? De quoi honorer des engagements bancaires pris alors que les règles du jeu n’étaient pas les mêmes ? Assumer des coûts de licenciements qui seront inévitables ? Je me refuse de donner des leçons de morale alors que l’Etat n’est pas allé au bout de sa logique. J’ai l’impression que l’appel à la désobéissance civile est à géométrie variable.

>> Vous êtes prêt à vous faire vacciner contre la Covid-19?
Oui et sans hésitation. La vaccination est une technique éprouvée tant en médecine humaine qu’en médecine animale et qui nous permet au passage d’utiliser moins d’antibiotiques. Je fais confiance à la science et si ça tourne mal, cela aura été ma contribution à la recherche (rire).

Lire aussi l'interview d'Anne-Marie Denis, présidente de la FDSEA 61 "Nous avons la chance de continuer à travailler"
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